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entre l’habileté d’exécution permise, nécessaire même, et la dextérité décevante, entre l’insuffisance ou l’aridité de l’épure géométrique et l’emploi facilement abusif des procédés empruntés à la peinture. N’eussent-ils que ce genre de mérite, ils offriraient à tout le monde un enseignement excellent, et aux jeunes artistes en particulier des leçons d’autant plus opportunes que ceux-ci semblent de moins en moins se rendre compte des strictes conditions de leur tâche.

De nos jours en effet, — et les derniers envois de Rome achevaient tout récemment de mettre le fait en évidence, — les architectes ne sont que trop portés à exagérer dans les œuvres de leur crayon ou de leur pinceau la part de la pratique adroite et celle de l’imitation matérielle. Sous prétexte de véracité, ils insistent avec une complaisance puérile sur des détails aussi peu intéressans en eux-mêmes qu’étrangers en réalité au sujet. En reproduisant les formes d’un monument antique, ils copient, plus attentivement peut-être que les lignes qui le constituent, les dégradations dont chaque pierre porte la trace, les nuances que l’écoulement des eaux a pu produire le long de quelque muraille ou sur le tympan de quelque fronton. A quoi bon ces petites vérités accidentelles, ces effigies vulgaires de la réalité ? Est-ce donc là le genre de ressemblance qu’il importe de fixer, est-ce par des confidences de cette sorte qu’on nous donnera la notion de l’art et du beau ? Passe encore, s’il s’agissait ici, comme dans les tableaux de Hubert Robert et des peintres de ruines ses contemporains, d’associer, sous forme d’allusions philosophiques ou simplement à titre d’élémens pittoresques, les détails de la vie moderne à l’image des monumens antiques. Quoiqu’ils aient singulièrement abusé du droit de mettre en relief le côté naturaliste des choses, les peintres du XVIIIe siècle pouvaient à la rigueur nous montrer les entre-colonnemens d’un palais impérial convertis par les blanchisseuses de Rome en séchoirs ou les murs d’un temple de Vénus en pigeonnier, parce que cette apparente transcription du fait servait sous leurs pinceaux de laisser-passer à une intention de l’esprit, à une arrière-pensée plus ou moins ingénieuse. Ils pouvaient de même se complaire dans l’imitation des mousses ou des broussailles dont le temps a revêtu ou couronné les restes de tel monument, parce que l’effet résultant de cette imitation n’avait rien que de conforme à l’objet et aux conditions de leur art ; mais il n’en est pas ainsi, tant s’en faut, de la tâche dévolue aux architectes, des devoirs qui leur incombent et des moyens dont ils disposent. L’imitation dans leurs dessins ne doit être littérale qu’autant qu’elle intéresse directement l’architecture elle-même, c’est-à-dire les caractères techniques du modèle choisi, les lignes qu’il présente, la saillie relative ou la proportion de chaque forme partielle, de