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champ de prédilection ! Quels que soient l’importance et le nombre des œuvres qu’il a laissées ailleurs, celle-ci ne résume-t-elle pas plus clairement, plus éloquemment qu’aucune autre l’élévation de sa pensée et l’étendue de son savoir ? N’est-ce pas à cette œuvre incessamment retouchée, embellie, perfectionnée par lui, que s’attacheront de préférence les souvenirs de la postérité ? Pour tout dire, Duban est et restera par excellence l’architecte de l’École des Beaux-Arts, comme Rude, malgré bien d’autres titres, est le sculpteur du bas-relief colossal de l’arc de l’Étoile, comme Ingres lui-même, quelque gloire d’ailleurs qui environne son nom, est avant tout le peintre de l’Apothéose d’Homère.

Quoi de moins surprenant et même jusqu’à un certain point quoi de plus juste ? Si l’on considère le chef-d’œuvre de Duban au point de vue de l’art contemporain et de ses produits en général, la prééminence qu’on lui reconnaîtra n’aura-t-elle pas pour effet de légitimer aussi l’oubli ou le sacrifice des termes de comparaison que pourraient présenter les travaux du maître lui-même ? Il y a ainsi, à toutes les époques, des monumens typiques auxquels appartient le privilège de caractériser à la fois le talent d’un homme et la physionomie historique du milieu où ce talent s’est manifesté. Pour ne citer que des exemples assez près de nous, l’architecture du premier empire se révèle tout entière, j’entends par ses meilleurs côtés, dans l’arc de triomphe du Carrousel, maintenant qu’un autre spécimen excellent de la même école, l’ancien Escalier du Musée, a malheureusement disparu dans la reconstruction du nouveau Louvre. Le Monument expiatoire, érigé sous la restauration à la mémoire de Louis XVI, est un édifice trop bien conçu, trop strictement approprié à sa destination, pour ne pas honorer plus qu’aucun autre l’époque qui l’a produit, même malgré le cadre qu’on lui a donné de nos jours et qui en dénature le caractère, même malgré ce riant square dont on l’a si malencontreusement entouré. L’architecture française, dans la période qui s’est écoulée depuis 1830, aura pour type principal à son tour cette École des Beaux-Arts, où se retrouveront, avec l’empreinte d’une rare habileté individuelle, l’image et l’expression les plus nettes des aspirations et des progrès de notre temps.

Il ne suit pas de là toutefois que dans ce monument, ou plutôt dans cette réunion de monumens juxtaposés et se complétant les uns les autres, toutes les parties méritent les mêmes éloges et s’imposent à l’attention au même titre. Les plus récentes d’entre elles ne laissent pas d’indiquer chez le maître, nous ne dirons pas, tant s’en faut, une infidélité à ses principes, mais la volonté d’en modifier l’application dans le sens d’une délicatesse souvent excessive. En d’autres termes, il semble que Duban, à mesure qu’il approche de la fin de