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de la Kaaba des Arabes antéislamiques avait aussi des yeux et des oreilles. Au temps des juges, c’est encore sous les chênes de Sichem que les Sichemites se rassemblent pour délibérer sur les affaires publiques. Il y avait là un chemin appelé le chemin d’Elon-Meonim, « chênes des enchanteurs. » La prophétesse Déborah rend des oracles sous un palmier. Le murmure des arbres sert d’oracle à David. Les arbres les plus gros et les plus grands, ceux qui conservent leurs feuilles en toute saison, ont été adorés comme des dieux. Un grand nombre de mythes sémitiques se rattachent aux végétaux. Ainsi le grenadier, renommé pour la richesse de sa graine, était consacré à Adonis et à Aphrodite. L’amandier qui, alors que la nature semble inanimée, sort le premier du sommeil d’hiver, l’amygdale, c’est-à-dire la « grande mère, » avaient donné naissance à une foule de légendes sémitiques. Que, parmi les cèdres et les cyprès du Liban, quelques-uns aient été adorés pour leur grand âge ou pour leur beauté, c’est ce qui ressort de quelques passages d’Isaïe et d’Habakuk[1].

C’est sur l’emplacement des bois sacrés, auprès des arbres vénérés, que se sont élevés les sanctuaires des divinités qui ont été successivement adorées dans ces lieux, depuis Aschera, Baal et Jahveh jusqu’à saint George, saint Maroun et le Christ. Dans le Liban, toujours une chapelle a remplacé un vieux temple en ruines. Un caroubier séculaire, un petit bois de chênes ou de lauriers, abritent d’ordinaire ces débris. Sozomène nous parle d’une fête païenne qu’on célébrait encore au temps de Constantin sous la chênaie de Mamré. C’était une sorte de foire où l’on se rendait en foule, et où l’on sacrifiait des bœufs, des boucs et des brebis, avec. force libations et encensemens[2]. Malgré le judaïsme, le christianisme et l’islam, la vénération des arbres a persisté en Palestine. Les voyageurs ont tous vu quelques-uns de ces arbres isolés, auxquels les habitans rendent un véritable culte. Il n’est pas rare non plus de rencontrer dans ce pays des arbres tout couverts de haillons et de lambeaux d’étoffes. Ces chiffons ont été suspendus aux branches par des Arabes ou par des Syriens pour éloigner les fièvres ou pour obtenir la guérison de certaines maladies.

Ainsi en Palestine les bois appartenaient au culte d’Aschera. Voilà ce qui explique pourquoi, en faisant mention de ce culte, la Bible par le souvent des « arbres verdoyans, » des « arbres au feuillage touffu, » des chênes, des peupliers, des térébinthes, à l’ombre desquels des prêtresses d’Aschera observaient les rites

  1. Is., XIV, 8 ; XXXVII, 24 ; Habak., H, 17.
  2. Sozom., Hist., II, 4.