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apparaît à Abram au milieu des ténèbres de la nuit comme un « four fumant. » Pour montrer qu’il avait pour agréable un sacrifice, il jaillissait sous forme de flamme entre les morceaux dépecés des victimes étalées sur le bûcher. Il se révèle ainsi à Abraham, à Gédéon, à Élie. Rappelons-nous aussi que, chez les Hébreux comme chez les Perses, le feu est « pur, » que le « feu éternel » devait être entretenu sur l’autel par un prêtre, qu’un même mot désignait à la fois le feu et le sacrifice. Des victimes qu’on lui immole, — taureaux, béliers, brebis, chèvres, oiseaux, — Jahveh se réserve surtout la graisse, dont il trouve l’odeur agréable lorsqu’elle grésille en tombant sur le feu et s’élance vers le ciel en noirs tourbillons de fumée. « Toute graisse appartient à Jahveh, » lit-on dans le Lévitique. Il tressaille de joie à l’idée d’une tuerie, d’un massacre, d’une boucherie d’hommes et d’animaux. Il ruisselle de sang et de graisse. « Le glaive de Jahveh est ivre, dit Isaïe, il dégoutte de sang, il est recouvert de graisse, du sang des agneaux et des boucs, de la graisse des reins des béliers. »

Naturellement le petit de l’homme appartient à Jahveh, comme le petit de l’animal et comme le fruit de l’arbre. Tous les dieux des Sémites, El, Schaddaï, Adôn, Baal, Moloch, Jahveh, Kamos, sont conçus comme des monarques d’Orient. Ils ont des droits absolus sur tout ce qui naît et meurt dans leur empire. L’homme se reconnaît vassal, il adore « le maître, » et apporte à son seigneur les prémices de son troupeau, de son champ, de sa famille. En tant qu’originairement identique à Moloch, Jahveh réclame tous les premiers-nés. « Sacrifie-moi tout premier-né, tout ce qui naît le premier parmi les enfans d’Israël, tant des hommes que des bêtes, car tout cela est à moi. » Les sacrifices humains ont sans doute existé chez tous les peuples, mais ils tiennent surtout une grande place dans les religions sémitiques ; ils n’en ont disparu que fort tard. Partout en effet où ces religions ont pénétré, même chez d’autres races, on retrouve des traces du culte molochique. Dans tous les sanctuaires des colonies phéniciennes établies sur les côtes ou dans les îles de la Méditerranée, à Carthage, en Sicile, à Marseille, à Rhodes, à Salamis, en Crète, il y avait des taureaux de métal ou des statues d’airain du dieu. A certaines époques déterminées, dans certaines cérémonies expiatoires, ou bien encore lorsqu’on voulait conjurer quelque fléau, on jetait dans les flancs du taureau ou sur les bras de la statue rougis à blanc des hommes et des enfans.

Rien n’est mieux établi que l’existence de pareils sacrifices chez les Hébreux en l’honneur de Jahveh, et cela jusqu’au temps de Josias, peut-être même jusqu’au retour de la captivité de Babylone. L’époque des patriarches nous en offre, dans la Genèse (XXII), un