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passant que Bileâm adore en même temps Baal, lui dresse des autels et lui immole des veaux et des béliers. Movers et d’autres ont établi que Jahveh désignait le dieu suprême chez plusieurs peuples sémitiques. Ce nom se retrouve sous sa forme contracte dans un grand nombre de noms propres chananéens ou phéniciens. Les écrivains grecs, comme Diodore de Sicile, connaissent Jaou ou Jao. Le texte le plus curieux qu’on puisse rappeler ici est peut-être celui de l’oracle d’Apollon de Claros, recueilli par Macrobe, et qui n’est point, comme l’ont démontré Lobeck et Movers, l’œuvre apocryphe d’un chrétien gnostique. Il résulte de cet oracle que Jao est le plus grand de tous les dieux, la divinité suprême, le dieu solaire envisagé sous quatre faces, qui sont les quatre saisons de l’année. C’est Hadès en hiver, Zeus au printemps, le soleil en été, et Jao en automne. L’épithète de doux et d’efféminé qu’on donne ici à Jao montre clairement qu’il s’agit d’Adonis, dont le culte central était à Byblos, dans le Liban, et que Sanchoniathon nomme le « Très Haut, » Elion, comme le dieu de Melkitsédek. Ainsi, en Phénicie, Jao est bien la source de vie qui anime toute la nature. Jao est le soleil.

Dans tous les livres du Pentateuque, le Deutéronome excepté, Jahveh n’est pas le dieu unique des Hébreux, il est seulement plus puissant que tous les autres dieux. Jahveh, c’est El Elohim, le dieu des dieux, comme Zeus ou Indra. Ce polythéisme éclate partout dans les vieux livres d’Israël. Ainsi les messagers de Jephté disent au roi des Ammonites : « Ne possèdes-tu pas le pays que Kamos, ton dieu, t’a donné en héritage ? De même nous possédons le pays de tous ceux que Jahveh, notre dieu, a chassés devant nous. » On a remarqué avec raison que tout ce qui se lit sur la stèle, récemment découverte, que le roi de Moab, Mésa, avait élevée à son dieu Kamos, aurait pu se trouver sur un monument du même genre, sur une eben ezer, élevée par un roi de Juda ou d’Israël à son dieu Jahveh. Kamos en effet, irrité contre son peuple, l’avait livré aux mains de ses ennemis ; il lui redevient favorable et il écrase les adversaires du roi de Moab. Jahveh, dont le nom est cité sur cette stèle, ne parle et n’agit pas autrement dans les livres de son peuple.

Le nom de la divinité qui revient presque à chaque verset de la Bible, Elohim, est un pluriel. — Pluriel de majesté, dit-on, pluriel d’excellence. — Soit. Il est bien vrai que, partout où cela était possible, les derniers rédacteurs des livres saints ont mis au singulier les mots qui se trouvaient d’abord au pluriel, mais ils n’ont pu si bien effacer toute trace de polythéisme qu’on n’en retrouve des marques éclatantes dans certaines façons de parler qui ont survécu à la ruine des anciennes croyances d’Israël. Les locutions populaires, monumens les plus sûrs et les plus authentiques des idées d’un peuple,