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On est frappé du caractère singulièrement sombre et terrible de ces divinités. Tous ces dieux sont des dieux du feu, qui se nourrissent de graisse et de sang, et qui dévorent des victimes humaines. N’oublions pas que ces tribus de pasteurs étaient encore à demi sauvages. Plusieurs siècles même après l’époque où nous sommes arrivés, on constate dans la législation des Hébreux la répression d’habitudes bizarres et de goûts dépravés qui ne se rencontrent que chez les peuplades les plus grossières. On leur défend de se tatouer, de se nourrir d’insectes, de reptiles, etc. Les dieux des Térachites étaient naturellement aussi farouches et aussi sanguinaires que leurs adorateurs. Ils conservèrent longtemps un caractère sinistre et sensuel qui les distinguait des divinités chananéennes. Ce n’est pas, je le répète, que ces diverses familles sémitiques adorassent des divinités essentiellement différentes. En dehors des cultes locaux, que l’on retrouve chez tous les peuples, elles n’avaient en somme d’autres dieux que le soleil, la lune et les astres, tour à tour considérés comme cause de production et de destruction dans le monde ; mais, tandis que les unes célébraient dans la joie et dans l’orgie le dieu de la lumière et de la vie, Baal et sa Baalath, le roi et la reine des cieux, les autres étaient plus portées à conjurer par des sacrifices sanglans et par des cérémonies d’une cruauté frénétique la fureur implacable de l’astre flamboyant, du Moloch insatiable, qui chaque année dévore ses enfans. Au fond, c’est au soleil du printemps et au soleil de l’été qu’on rendait un culte. Que le dieu s’appelle El, Bel, Baal, Adonis, Tammouz, Hadad-Rimmon, etc., ou Moloch, Jahveh, Kamos, Milcom, etc., c’est toujours du soleil qu’il s’agit. De même, que la déesse se nomme Baalath, Derkéto, Aschera ou Astarté, c’est toujours d’une divinité tellurique ou céleste, de la terre ou de la lune, qu’il est question. Ajoutons que souvent le soleil et la lune ont été remplacés par des planètes. Le soleil, considéré comme Moloch, a été confondu avec la planète Saturne dès la plus haute antiquité. Adar, dieu originairement solaire, dieu du feu, devint plus tard le dieu de la planète Saturne[1]. Considéré comme Baal, le soleil a été identifié avec la grande étoile de la fortune, la planète Jupiter, et Vénus, comme petite étoile de la fortune, lui était associée.

Il est aujourd’hui démontré qu’au temps de la sortie d’Égypte, dans le désert, et même à l’époque des juges, la lumière et le feu étaient pour les Israélites non pas des symboles de la divinité, mais la divinité elle-même. Jahveh, dieu de la lumière et du feu, n’est

  1. Le nom du dieu Kévan, adoré dans le désert par les Israélites (Amos, V, 27), vient d’être lu dans la forme assyrienne sur une tablette qui explique par ce mot la seconde partie du nom de la planète Saturne en accadien, Lubat-Sakus.