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est le polythéisme des Térachites, c’est-à-dire des peuples qui comme les Israélites descendaient de Térah, les Édomites, les Hammonites, les Moabites, les Ismaélites. Toutes ces tribus, venues de la Chaldée et de l’Assyrie, adoraient les astres et le feu ; elles retrouvèrent en Palestine le culte des mêmes dieux. Les noms mêmes de quelques-unes de ces divinités étaient identiques, ce qui prouve leur parenté originelle : Nomina numina, dit l’axiome devenu dans l’école de M. Kuhn la clé de la mythologie comparée.

La Genèse raconte qu’Abram, le « haut père » mythique des Hébreux, rencontra dans le pays de Chanaan Melkitsédek, roi de Schalem, qui était prêtre ou cohen d’El-Élion, père du Ciel et de la Terre. Ce dieu El, qui resta le dieu national des Beni-Israël jusqu’au temps de la sortie d’Égypte, et qui se présente dans le discours presque toujours accompagné d’un attribut comme El-Élion, El-Schaddaï, El-Kanna, El-Haï, ce dieu El paraît avoir été commun à toutes les familles de la race sémitique. On peut voir dans les inscriptions grecques et latines de la Syrie qu’a publiées naguère M. Waddington la mention de monumens du culte de Kronos comme les Grecs appelaient El. On retrouve El dans les colonies phéniciennes, à Carthage. Quant au caractère de l’universalité, El est dans le panthéon sémitique ce qu’est Djaus dans le panthéon indo-européen. L’idée de dieu se rend en assyrien par le mot Ilou, et le caractère idéographique de cette notion avait à l’origine la forme d’une étoile[1]. C’était la plus haute divinité des Babyloniens, comme l’indique le nom de la grande cité, dont El était la divinité poliade, Bal-El ou Bab-Ilou (la Porte d’El). Dans l’Assyrie, il recevait l’appellation exclusivement nationale d’Assur. Les inscriptions le qualifient « roi ou chef des dieux, suprême seigneur, père des dieux. » Quelques rares monumens, appartenant tous à l’Assyrie, donnent à Ilou ou Assur une épouse, dédoublement de lui-même et sa forme passive[2]. Que ce dieu ait primitivement désigné le ciel étoilé ou la lumière, toujours est-il qu’on lui a de tout temps attribué une signification sidérale, qu’on l’a assimilé à la planète Saturne, que Bérose le nomme Kronos, et qu’au dire de Sanchoniathon Kronos s’appelait El chez les Phéniciens.

Ainsi le dieu suprême des Beni-Israël était aussi celui des Chananéens. Nous voyons également les Térachites accepter pour sacrés certains lieux vénérés par les habitans du pays, des arbres, des montagnes, des sources et des Beth-El, ou « maisons de El. »

  1. Oppert, Expédition en Mésopotamie, II, 109. Cf. Diod. Sic, II, 30.
  2. François Lenormant, Essai de commentaire sur les Fragmens cosmogoniques de Bérose, p. 60 et suiv.