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On ne voit nulle part dans la Bible que ces nouveau-venus aient eu quelque peine à se faire entendre des anciens habitans, et tous les noms propres de villes ou de personnages de cette nation que nous connaissons sont purement sémitiques. Il est en outre démontré que l’élément chananéen domine dans l’hébreu biblique ; Isaïe lui-même n’appelle-t-il pas l’hébreu « langue de Chanaan ? » Toutes ces populations, Amorrhéens, Héthéens, Hévéens, que les Grecs nommaient Phéniciens, étaient alors arrivées à un assez haut degré de civilisation. Depuis des siècles déjà, ils avaient écrasé ou absorbé les races aborigènes, les Néfilim, les Emim, les Refaïm, sortes de géans et d’êtres monstrueux qui rappellent les Auasikas et les Rakshasas, contre lesquels les Aryas eurent à lutter dans l’Hindoustan. Des caravanes de marchands qui allaient vendre en Égypte le baume des térébinthes, la myrrhe, les aromates, etc., traversaient le pays. La monnaie qui avait cours entre les marchands était frappée au coin. On parle dans la Genèse de vaisseaux et de ports. Dans quelques villes, comme Sodome et Gomorrhe, qui paraissent avoir fait sur les naïfs « Bédouins » la même impression que Babylone, on voit régner certains raffinemens de mœurs qui ne conviennent guère à des barbares. Les Chananéens depuis longtemps avaient dépassé le grossier fétichisme que nous trouvons dans la famille d’Abram. Rahel dérobe les idoles de son père. « Pourquoi m’as-tu dérobé mes dieux ? » dit Laban à Jacob. Rahel, les ayant cachés dans le bât d’un chameau, s’était assise dessus, et quand son père pénétra dans la tente, elle trouva un prétexte pour ne pas se lever. Dans un autre passage de la Genèse, Jacob enterre sous un chêne, près de Sichem, les idoles, les talismans et les amulettes des gens de sa maison. A plusieurs reprises, la Bible nous présente les Abrahamides comme idolâtres et polythéistes. Dans le livre de Josué, Térah, père d’Abram, est donné comme païen et polythéiste ainsi que leurs ancêtres, qui dès l’antiquité habitaient « au-delà du fleuve, » c’est-à-dire de l’Euphrate.

Aussi bien, quand la Bible ne nous le dirait pas expressément, nous trouverions presque à chaque page des vieux livres d’Israël et des prophètes du VIIIe siècle des faits qui témoignent de l’idolâtrie fétichiste et du polythéisme naturaliste des Sémites. D’abord on peut énoncer comme une vérité évidente par elle-même qu’il ne saurait exister de différences fondamentales dans les conceptions religieuses de familles de peuples qui habitent les mêmes contrées, parlent la même langue, et, de leur propre aveu, descendent généalogiquement les unes des autres. Or le polythéisme des Assyriens, des Babyloniens, des Syriens, des Phéniciens et des Arabes antéislamiques est un fait incontestable. Non moins incontestable