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militaire et monarchique, qui n’empêchait pas toutefois qu’on ne liât partie avec les idées libérales, sans s’y rattacher tout à fait. Gervinus se brouilla avec le présent. Les événemens qui se passaient autour de lui et qui remplissaient la nation de sympathies enthousiastes ne lui inspiraient qu’une profonde tristesse et d’éclatantes réprobations. Il évoquait les ombres de ses amis morts, qui auraient partagé ses sentimens, s’ils avaient vécu. C’est un spectacle douloureux, presque tragique que cet homme atteignant dans un sombre chagrin et dans la solitude de ses pensées. » Gervinus était un vrai libéral, et il est mort en désespérant de l’avenir des idées qui lui étaient chères. M. Strauss voit au contraire l’avenir en beau ; il croit au triomphe de la cause ou, pour mieux dire, des deux causes pour lesquelles il a toujours combattu et qui sont étroitement unies dans sa pensée. Ce qu’il a toujours appelé de ses vœux, c’est l’unité politique et religieuse de l’Allemagne, et, selon lui, l’une est la condition de l’autre. L’Allemagne est le pays de la réforme ; mais la réforme est encore incomplète, elle attend son achèvement. Le jour s’approche où, sous le patronage de souverains éclairés, la grande œuvre sera consommée, où catholiques et protestans se donneront la main pour instituer une nouvelle église, l’église du Christ éternel. C’est ainsi que l’unité politique de l’Allemagne aura préparé l’unité-religieuse, qui à son tour la consacrera, lui imprimera le sceau de l’éternité.

M. Strauss a des raisons particulières d’espérer. Un rayon de royale faveur est venu sur le tard chercher son front. Il a rencontré des princes dont le commerce est plein de douceur ; ils pratiquent mieux que personne « cet art obligeant qui accorde si heureusement la liberté avec le respect. » Ces princes, auxquels est attachée la fortune de l’Allemagne, ont une indépendance d’esprit qu’on ne s’attend guère à rencontrer sur les marches d’un trône, et qui promet un règne fort différent de ce que nous voyons. M. Strauss a bâti ses espérances sur cet accident heureux ; mais il n’est point impatient, il ne compte pas les heures. Assuré de l’avenir, il s’accommode du présent. La liberté politique ne lui a jamais inspiré qu’une froide affection. En 1848, il est vrai, il demandait un empire constitutionnel, avec un ministère responsable. Les temps ont marché, il se résigne provisoirement au césarisme plus ou moins déguisé qui règne à Berlin. Il a conjuré ses compatriotes du Wurtemberg de se rendre à merci, sans conditions, de ne pas marchander leur reconnaissance aux vainqueurs du coq gaulois. « Nous n’oublierons jamais, disait-il, que c’est la noblesse prussienne qui nous a donné un Bismarck et un Moltke. » Voilà jusqu’à ce jour le dernier mot de l’auteur de la Vie de Jésus.

Gervinus a bien fait de mourir, et Schiller fait bien de ne pas