part dans les actions ni dans les écrits de Hutten. C’est un patriote qui déteste le joug que Rome fait peser sur son pays et qui exhorte l’Allemagne à rompre son licou, à s’affranchir à jamais de la domination étrangère. L’historien a épousé toutes les passions de son héros, il voit tout par ses yeux. On ne saurait être plus étranger à cette sérénité de la pensée, à cette liberté d’esprit qui respirent partout dans l’admirable tableau que M. Ranke a tracé des luttes religieuses du XVIe siècle. Les intérêts et les événemens de ce monde sont infiniment compliqués, et, s’il nous est permis d’avoir nos préférences, il nous est bon de rendre justice à ce qui nous déplaît et de juger ce que nous aimons. Il est rare que la vérité et le bon droit soient tout entiers dans le même camp. Sans tenir la balance absolument égale entre le catholicisme de la renaissance et la réformation, un juge impartial ne peut s’empêcher de reconnaître qu’aucune des deux parties n’avait absolument tort ni absolument raison, et que la réforme de Luther fut au XVIe siècle un progrès à la fois et un rétrécissement de l’esprit humain.
Non-seulement M. Strauss voit Rome et Léon X à travers les colères de Hutten, il voit Hutten lui-même avec des yeux prévenus, dont les indulgences sont excessives. Il ne nous dissimule, à la vérité, aucune de ses faiblesses ou de ses misères, il est trop exact pour rien omettre, trop consciencieux pour rien déguiser ; par malheur, son jugement ne s’accorde pas toujours avec ses récits, et rien ne le trouble dans son imperturbable admiration, qu’il cherche à nous imposer. Nous devons accepter les grands hommes tels qu’ils sont, nous dit-il, avec leurs imperfections et leurs souillures. Le point est précisément de savoir si Hutten fut un grand homme. Sans contredit, il avait une âme d’une énergie peu commune, un caractère fortement trempé, le génie du pamphlet et des bouffées de généreux enthousiasme ; mais l’exactitude de son biographe nous fait voir trop souvent en lui une imagination surmenée par ses fantaisies, un bretteur de la plume qui se bat quelquefois pour le seul plaisir de se battre, un aventurier sans scrupules et sans dignité qui ne répugne pas aux tours de sac et de corde, une sorte de capitan d’université prompt à l’insulte, abondant en rodomontades, un hobereau très infatué des privilèges de sa caste et plein d’un superbe mépris pour les bourgeois, les villes et les marchands, une éternelle et incurable gueuserie qui tantôt pour se remplumer rêvait un opulent mariage, tantôt faisait sa main sur les champs de bataille ou sur les grandes routes. Grand homme, non, — mais une sorte de héros picaresque, animé d’une passion vraie, qui fut l’âme de son talent : il aimait la liberté et l’Allemagne. La plupart des lecteurs de M. Strauss comprendront facilement,