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remplacent le vieux dogmatisme « par le dogmatisme de la certitude d’eux-mêmes. » M. Strauss n’écrit guère l’histoire que pour avoir l’occasion d’affirmer les idées qui lui sont chères, et le doctrinaire qui est en lui fait souvent tort à sa critique.

L’écrit intitulé le Romantique sur le trône des césars ou Julien l’apostat, et qui date de 1847, est moins une page d’histoire qu’un mordant pamphlet contre le roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV. Erreur ne fait pas compte ; c’est la seule fois, pensons-nous, que l’auteur de la Vie de Jésus ait manqué de respect à un grand de la terre. Il ne pouvait pardonner à Frédéric-Guillaume IV de s’être fait le patron de la réaction religieuse en Prusse. Le pamphlet de M. Strauss nous parait avoir deux défauts : le premier est qu’il est vraiment bizarre de rapprocher un roi médiocre d’un empereur qui fut un homme extraordinaire, grand capitaine, grand administrateur, mort à la fleur de l’âge, et à qui deux ans de règne ont suffi pour laisser un nom impérissable. Ensuite il est douteux que Julien fût un romantique sur le trône. Qu’est-ce qu’un romantique ? Un rêveur qui s’éprend du passé, et, par une erreur de sa fantaisie, s’obstine à des restaurations impossibles. Julien avait beaucoup de raisons de haïr le christianisme, et tout semble prouver que la fantaisie y tenait moins de place que la politique ; il voyait dans la foi nouvelle l’actif et dangereux dissolvant qui décomposait sourdement l’empire, et l’événement a justifié sa clairvoyance. Quant à Frédéric-Guillaume, c’était à la fois un romantique et un dilettante. La Prusse a été tour à tour gouvernée par de grands hommes, par des caporaux, par de rusés praticiens, et de loin en loin par des hommes de sentiment, assez rares pour ne rien compromettre. Neander, le théologien en vogue a Berlin sous le règne du prédécesseur de Guillaume Ier, prétendait qu’il faut faire de la théologie avec son cœur, et on l’avait surnommé le théologien pectoral. Frédéric-Guillaume IV a fait de la politique pectorale, mais il ne laissait pas d’avoir de l’esprit ; il en avait assez non-seulement pour faire des bons mots et pour goûter infiniment, malgré son piétisme, le Candide de Voltaire, mais encore pour deviner les conséquences des choses et les difficultés des situations. Désireux de jouer un rôle et timide par clairvoyance, il se dérobait aux grandes entreprises, se rabattait sur les petites, où son goût le portait ; il refusait la couronne impériale, reculait devant les défis de l’Autriche, et se dédommageait en s’occupant avec passion de l’épiscopat de Jérusalem et de l’achèvement de la cathédrale de Cologne : c’était une revanche que sa vanité prenait sur les défaillances de son courage. Quand par hasard un homme de sentiment monte sur le trône des Hohenzollern, il entre toujours un peu de calcul dans ses penchans les plus