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aux individus et ne sauraient rejaillir sur l’espèce ; elle est celui qui meurt, qui ressuscite et qui monte au ciel, car c’est en mourant aux sens et à la nature qu’elle entre en possession des joies de l’esprit. Par la foi active en ce christ, l’homme se rend juste devant Dieu, puisqu’il renonce ainsi à son propre moi et devient participant à la vie divine de l’espèce.

On pouvait croire que l’homme qui avait lancé dans le monde de telles déclarations avait pris son parti de rompre à jamais avec la communion des fidèles poux s’enfermer dans la fière solitude de sa pensée. Le polémiste ne s’était rien refusé de ce qui pouvait chagriner ou mortifier ses adversaires, il avait goûté dans toute sa saveur cet acre plaisir du scandale qui pour les hommes de combat est la plus délicate des friandises ; mais derrière le polémiste il y avait un théologien, et ce théologien n’entendait point abdiquer, il protestait contre la sentence d’excommunication qui venait de le frapper. Dès 1839, M. Strauss avait publié sous ce titre, Ce qu’il y a de périssable et de permanent dans le christianisme, un écrit d’apologétique personnelle, destiné à démontrer que l’auteur de la Vie de Jésus n’avait pas attenté contre le vrai christianisme, qu’il avait purifié de ses scories le métal sacré, que la statue était encore debout. Sa démonstration, se réduisait à ceci : rien n’est plus admirable en ce monde ni plus adorable que le génie, les plus grands des génies sont les génies religieux, et aucun des fondateurs de religion n’a jamais égalé le Christ, aucun dans l’avenir ne le surpassera jamais. M. Strauss ne devait pas en demeurer à ce premier essai d’accommodement ; en 1864, il a fait paraître une Nouvelle vie de Jésus, dans la préface de laquelle il déclare hautement ce qu’il pense de lui-même, à savoir qu’il n’est ni un révolutionnaire, ni un incrédule, qu’il est un réformateur, l’héritier légitime de Luther. — Il s’agit moins encore de servir la science, nous dit-il, que de reprendre et de continuer la réforme. Une partie du christianisme officiel nous est devenue insupportable, une autre partie nous demeure indispensable, et bien des âmes qui ont besoin de croire, mais qui ne peuvent tout croire, se voient condamnées à une lutte énervante, à une oscillation douloureuse entre l’incrédulité et une foi convulsive, entre le libertinage de la raison et une aveugle dévotion. Venir en aide à ces âmes travaillées est un devoir impérieux pour quiconque se sent capable de cette mission de charité ; à cet effet, il faut distinguer rigoureusement dans le christianisme ce qui est éternel et ce qui n’est que passager, les vérités immortelles qui procurent le salut et les dogmes périssables que l’ignorance y a mêlés. C’est ainsi seulement qu’on peut espérer de rétablir l’unité au sein de l’église renouvelée.