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« une mine » dont l’explosion fera sauter tous les gouvernemens. Cette mine, « ce sont les droits de l’homme. » Il fait remarquer avec raison que tous ces droits sont absolus et extrêmes en théorie, tandis que dans la réalité ils ne peuvent jamais être « qu’une moyenne, un compromis entre un bien et un mal, souvent même entre deux maux. » On ne peut méconnaître la justesse théorique de ces assertions. Il est permis de regretter que la révolution ait débuté par une préface métaphysique ; il était inutile et peut-être dangereux de formuler ces droits sous une forme absolue, qui en rendait l’application très difficile ; après tout n’est-ce peut-être là qu’une question de forme et de conduite, peut-être, en examinant de près ce décalogue célèbre des droits de l’homme et du citoyen, trouverait-on que ces droits réclamés alors étaient précisément cette moyenne de besoins légitimes et nécessaires, auxquels les mœurs, les lumières, les intérêts grandissans avaient graduellement amené les esprits, et que, s’il y a eu une explosion soudaine et effroyable, c’est que ces besoins n’avaient pas été satisfaits à temps.

Il faut d’ailleurs, dans cette célèbre déclaration, distinguer les principes de l’ordre politique et ceux de l’ordre civil. Autant les premiers ont été impuissans jusqu’ici à nous donner un ordre durable, autant les seconds ont été vivaces et énergiques malgré de partielles et passagères mutilations. C’est un fait que les principes de la déclaration des droits ont été précisément ce qu’il y a eu de plus solide et de plus persistant dans l’histoire de nos révolutions. Toutes les institutions politiques qui ont essayé de se fonder ont péri les unes après les autres, et c’est encore un problème de savoir si une révolution aussi radicale peut enfanter ou supporter un gouvernement ; mais, tandis que les constitutions périssaient, les bases sociales posées par la déclaration des droits demeuraient inébranlables. La charte de 1814 et la constitution de 1852 reconnaissaient explicitement ces principes fondamentaux. Bien plus, ces principes tendaient à devenir les principes de toute société civilisée, et l’aristocratique Angleterre elle-même s’y pliait peu à peu aussi bien que l’Allemagne féodale.

Tandis que Burke se place, dans sa critique, au point de vue exclusif de l’histoire et de la tradition, le philosophe allemand Fichte, alors dans sa jeunesse, et tout plein de cette ivresse idéologique et spéculative dont l’Allemagne s’est bien guérie depuis, soutient le point de vue philosophique avec la naïveté la plus intrépide et avec une exubérance de phraséologie abstraite qui au moins n’était pas au XVIIIe siècle le défaut de nos philosophes. Fichte nous apprend[1]

  1. Les Considérations destinées à rectifier les jugemens du public sur la révolution française ont été écrites par Fichte en 1793, et traduites en français par M. Jules Barni en 1859.