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sommes sera la politique de la droiture, de la bonne foi, de la sincérité. Le gouvernement peut évidemment beaucoup pour dégager la situation de toutes les complications obscures qui la compromettent quelquefois sans profit pour personne ; il peut beaucoup pour régulariser sous une même inspiration de bien public la double action de l’assemblée et du pouvoir exécutif. Il n’a qu’à vouloir sur certains points, à s’abstenir sur d’autres points : qui peut mieux remplir ce rôle que M. Thiers ?

M. le président de la république a ce privilège, que personne ne peut avoir la pensée de diminuer la position où il a été porté par les circonstances. Cette position éminente, il l’a conquise par sa supériorité, par des services que tout le monde reconnaît, et même quand on ne se rend pas à toutes ses opinions, même quand on serait assez disposé à ne point s’incliner devant tout ce que fait son gouvernement, cela ne veut point dire qu’on songe à l’atteindre dans son crédit. Il est à sa place là où il est, il est la personnification naturelle, acceptée, de toute une situation ; mais en même temps, on peut le dire sans arrière-pensée, il s’épargnerait à lui-même et il épargnerait souvent aux autres bien des froissemens, bien des difficultés, s’il restait un peu plus dans son rôle de chef de gouvernement en évitant de descendre dans tous les détails, s’il se bornait à une direction nette, suivie, toujours concertée avec l’assemblée, dont il est le mandataire, comme il le répète sans cesse. Que M. Thiers, qui a le droit de prétendre qu’il représente avant tout l’intérêt de la France, qui se considère comme un médiateur entre les partis, ne se préoccupe pas de plaire aux uns ou aux autres, ainsi qu’il l’assure, c’est possible encore. Il faut bien cependant qu’il y ait une majorité, et, pour que cette majorité existe, il faut que le gouvernement lui vienne en aide, qu’il ne l’empêche pas tout au moins de se former ; il faut qu’il se concerte avec elle, qu’il sache quelquefois accepter ses directions, à moins qu’on ne revienne à un gouvernement d’influence toute personnelle, se mettant chaque jour à la recherche d’une majorité différente avec des combinaisons de partis toujours renouvelées. C’est peut-être ce qu’il y a de plus commode ou de plus flatteur, c’est aussi à coup sûr ce qu’il y a de plus laborieux, de plus précaire, et c’est là justement ce qui contribue à créer cette incertitude dont on se plaint, parce qu’alors la politique tout entière et l’accord des pouvoirs restent à la merci de tous les accidens imprévus.

Que M. Thiers, après la proposition Rivet, qui l’a élevé au rang de président de la république, aille à toutes les séances de l’assemblée, qu’il se mêle à tous les débats parlementaires, même à des discussions d’ordre du jour, c’est une tentation bien naturelle à un si grand talent de parole. Ce serait dur pour un homme comme M. Thiers, nous en convenons, de laisser passer tant de questions sérieuses sans les traiter, sans les éclairer de son éloquence ; alors il donnerait son siège présidentiel pour la plus simple tribune, il s’échappe de la préfecture