Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/464

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cela se maintenir sur les hauteurs, en suivre les crêtes. C’est encore là que se déploient la hardiesse et l’habileté de notre conducteur, car c’est au galop qu’il décrit les contours de ces crêtes, quoiqu’elles aient à peine la largeur de notre char, et que de ci, de là, force lui ait été d’y suppléer par un tronc d’arbre mal ajusté ou des branchages à peine couverts de quelques pelletées de terre. En réalité, c’est la partie facile de la route, quoique, selon l’expression américaine, sur ce dos de cochon, hog’s bark, on coure entre deux abîmes vertigineux où vous précipiterait la moindre déviation de la ligne à suivre. Je suis forcé d’avouer qu’étranger à ce genre de locomotion quasi aérienne je gardais le silence dans plus d’un passage, tandis que mes compagnes paraissaient affranchies de mes secrètes angoisses.

Dans les gorges profondes où nous avions à descendre, le plus souvent coulait un ruisseau limpide et glacé sur un lit de roches polies ou de gravier miroitant au soleil. Là nous faisions une halte de quelques instans pour nous désaltérer et cueillir quelques fleurs. Dans ces bas-fonds abrités du vent naît spontanément une flore abondante et variée, de quoi faire bondir de joie un botaniste enthousiaste et lui composer le plus riche herbier. J’ai vu là en peu d’instans et sans beaucoup de recherches un grand nombre d’espèces que je cite au hasard : le plastystemon californicum, une jolie papavéracée introduite en Angleterre par Douglas et cultivée maintenant comme plante d’agrément, le hosakia subpinata de Grey, le callichroa platyglossa, un achillea millefolium, bien plus vigoureux que le nôtre, une jolie polygonée, l’eriogonum compositum, le sida malvœflora, arbuste qui ressemble à notre althea, de délicieux myosotis à larges corolles du bleu le plus céleste, la cynoglosse grande, des anagallis à larges fleurs bleues, l’orthorarpus, une scrophulariée à forme de crête de coq, une variété de notre flox, le gilia coronopifolia, des orchys, quelques liliacées et des iris sur le bord du ruisseau. Les espèces forestières qui m’ont paru dominer dans les différentes zones que j’ai parcourues sont les charmes, les aulnes, les frênes, qui acquièrent là des dimensions bien plus grandes que ceux d’Europe, des saules, des érables surtout dont la sève, abondante au printemps, a une saveur très fortement sucrée, des chênes de variétés multiples. L’une d’elles se distingue par une feuille de dimension quadruple tout au moins de celle de notre chêne, par le brillant et le vert tendre de la face supérieure. Sur les hauteurs, on trouve une grande variété de, pins, de sapins, de mélèzes, de thuyas surtout et d’ifs,[1].

  1. Pinus Cousteri, P. insignis, P. sabiniana, P. tulerculata, P. Lambertiana, P. Doualasii, P. Benthamiana, P. Fremontiana, Picea grandis, Cupressus Lawsomiana, C. macrocarpus, C. Goveniana, Sequoia gigantea, S. tempervirens, Libocedrus decurrens.