Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/463

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impossibles. Lorsque nous montions, les chevaux de tête se dressaient à 20 pieds au-dessus de nous, et dans les descentes nous les voyions détaler à 20 pieds plus bas. Pour bien comprendre notre évolution dans les descentes, il faut s’imaginer d’immenses glissades dans lesquelles les deux roues de derrière sont immobilisées par une combinaison mécanique fort simple d’enrayement qui obéit au pied et au jarret de fer du conducteur. Les chevaux de derrière ne marchent pas ; ils glissent, entraînés malgré leurs efforts de recul. Dans le cas où ils s’abattraient, la solution est prévue ; la voiture doit passer par-dessus et continuer au galop. En ligne droite, tout cela se conçoit encore à la rigueur ; mais dans les tournans, c’est à faire frémir. Dans les montées, le capitaine Foss se tient debout comme les conducteurs des chars antiques des jeux olympiens : il anime ses chevaux, par le à ceux-ci, puis à ceux-là ; ils ont compris, car dans les courbes ils tournent court sans qu’on sache ce qu’ils sont devenus, avec une rapidité qui tient du prodige.

Au milieu de manœuvres si périlleuses, dont j’étais moi-même abasourdi, haletant, je me tournai vers mes compagnes ; quel fut mon étonnement de surprendre sur leur visage, au lieu d’une émotion bien naturelle, un calme parfait qu’accusaient surabondamment et leur regard et leur voix ! Je ne savais alors qui je devais admirer le plus, de l’énergie et de la soudaineté du conducteur, de la merveilleuse docilité des chevaux ou de la vaillance spontanée de ces dames. Elles étaient heureuses sans bravade ; le reste était l’affaire du conducteur, et semblait ne pas les regarder. Elles jouissaient réellement et sans restriction des grands spectacles qui nous étaient offerts, et qui variaient sans cesse avec chaque hauteur escaladée ou chaque profondeur descendue. Impossible, il est vrai, de décrire les magnificences sur lesquelles planaient nos regards, et l’immense panorama dont les limites s’étendaient à l’horizon jusqu’à plus de 100 milles. Dans la direction des sierras, notre vue pénétrait, grâce à la pureté de l’atmosphère, jusqu’aux cimes neigeuses dont nous étions séparés par plus de 140 milles de distance ; . tout autour de nous, ce n’étaient que monts gigantesques ou précipices. L’ensemble du tableau, vu de haut, donnait l’idée d’une mer immense dont les vagues inégales et superposées auraient été brusquement immobilisées. À ces hauteurs, on ne rencontre aucun établissement accusant le séjour de l’homme, si ce n’est ceux qu’a créés le capitaine Foss pour le service de ses relais. Ce n’est pas cependant qu’elles se refusent à la végétation ; mais comment cultiver à ces niveaux, et tirer parti de sa récolte ? Partout des cours d’eau sillonnent les pentes, y creusent de profondes ravines, et pas un pont pour franchir les crevasses. A tout prix il faut éviter les passes infranchissables, et pour