Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

allaient seules aux geysers sans le moindre embarras, tout à fait à leur aise, point guindées, mais d’une tenue commandant le respect. C’étaient trois institutrices en vacances. En Amérique, le pays par excellence de l’instruction primaire non obligatoire, les femmes prédominent comme instituteurs ; dans cet enseignement, qui n’est véritablement que la continuation de l’éducation maternelle, c’est un fait reconnu qu’elles réussissent mieux que les hommes. Aussi plus qu’ailleurs trouvent-elles là des moyens d’existence honorables qui sont assez souvent la ressource de femmes distinguées appartenant à des familles déshéritées ; leur traitement peut aller jusqu’à 4,500 francs, et leur permet, dans quelques circonstances, l’épargne sans privation. La compagnie de ces dames ne pouvait que nous plaire infiniment ; elles étaient d’agréable humeur et toutes prêtes à lier connaissance. Ce fut chose faite dès le premier relai. J’offris mes soins à la plus jeune de ces dames, qui était aussi la plus jolie, et qui voulut bien m’accepter pour son cavalier pendant le reste du voyage. Elle était fille d’un médecin qui avait fait ses études en France ; seule de ces dames elle comprenait très bien le français, sans le parler toutefois couramment.

Les huit premiers milles qui séparent Healdsburg des geysers ne sont rien comme difficulté de parcours. On n’est pas encore dans les montagnes. La route est donc facile ; deux fois seulement, il faut traverser à gué les sinuosités de la Rivière-Russe. La majeure partie du lit est à sec en cet endroit, et d’une largeur moyenne d’un quart de mille. Le pêle-mêle de roches amoncelées, le désordre de troncs d’arbres enchevêtrés, quoique dépouillés de branchages, disaient à nos yeux les ravages de l’hiver précédent ; mais, en contraste avec ce chaos de destruction, les rives épargnées attestaient par une végétation touffue ce dont est capable ce sol privilégié.

Le premier relai (il y en a trois pour faire 6 lieues) se fait à Geyser’s-Station, au pied des monts : c’est la propriété du capitaine Foss. Il y a bâti une sorte d’hôtel, où l’on pourrait au besoin passer la nuit ; c’est aussi le lieu où convergent les voyageurs venus de Calistoga et d’autres localités voisines pour visiter les geysers. De là aux geysers, il n’y a plus qu’une seule et unique voie, celle qu’a pratiquée le capitaine Foss et que nous allions suivre.

Tout est prêt. Nous voilà partis à la grâce de Dieu ; mais où est la route ? Je n’en vois nulle part. Devant nous, sans détour possible, une montagne énorme nous barre le chemin ; comment allons-nous faire ? Je ne l’imagine pas. Au même moment, les chevaux se sont élancés avec fureur, et nous gravissons à pic l’escarpement. J’en ai le vertige ; quoique préparé d’avance, je ne me doutais pas qu’on pût voyager ainsi : 18 milles sont franchis de la sorte par des pentes