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paraissait pas charmée de la résidence. C’est une sorte de citadelle crénelée, une bastille peu engageante d’aspect ; ici et là quelques toits effondrés, — seul point habité du reste entre Civita-Vecchia et Rome. Est-ce un bourg, est-ce une ferme ? C’est un grand corps dont l’âme est partie ; l’âme fut l’administration de Santo-Spirito : cette célèbre et riche association chargée des hôpitaux de Rome, pour prix de ses soins aux malades, a reçu jadis toute un principauté par donations successives. Les alentours de Palo sont la propriété de Santo-Spirito ; tout cela est loué aux entrepreneurs de culture, qui ont profité du voisinage du chemin de fer pour labourer quelques landes. On prétend que l’administration des hôpitaux était plus maîtresse que le pape dans ses domaines il y a quelque trente ans, qu’elle jugeait, emprisonnait et suppliciait son monde, ni plus ni moins qu’un seigneur féodal. Pour le bon ordre de l’état, la papauté a confisqué à son profit cet autre pouvoir temporel.

Passons vite, et, puisque le chemin de fer traverse ces solitudes, demandez-lui de vous rapprocher de Rome. Après plusieurs arrêts en rase campagne, stations où l’on pourrait recueillir tout au plus une paire de chevaux en guise de voyageurs, on arrive à la Magliana. L’endroit est gracieux, le Tibre y trace des méandres à travers de grands prés. Tout ce qui se détache à l’œil dans cette vallée silencieuse, c’est un amas de constructions grisâtres : — trois corps de bâtimens, dont l’un, crénelé, fut un couvent ; les religieuses de Sainte-Cécilia-au-Transtevere en ont été chassées par la malaria, un marchand de campagne y a installé ses bouviers ; — un grand fenil voûté à deux étages soutenus de hauts contre-forts, plein de plus de foin qu’il n’en faudrait à un régiment de cavalerie ; — autour, des pacages pelés sur les collines, ou des prés humides au bord du fleuve. Là du moins le fermier pourrait venir souvent, puisqu’un chemin de fer le dépose chez lui ; mais il semble se plaire mieux à Rome. Une épidémie lui a tué quatre cents bœufs il y a quelques années ; c’est un troupeau de chevaux qu’il entretient maintenant. Grâce à l’amas de foin qu’il entasse dans son fenil, il pourrait dispenser son bétail de l’émigration pendant l’été.

Écartez-vous des voies fréquentées. Faites-vous conduire par votre voiturier à Lunghezza, à dix milles de Rome, sur un chemin de traverse entre la Via-Tiburtina et la Via-Prenestina. Le trajet est long et singulièrement solitaire à partir de Tor de’ Schiavi. Vous vous demanderez en passant si les grottes du Cervara, sorte de carrières de tuf, méritaient bien d’être choisies, au commencement du siècle, par les artistes allemands comme rendez-vous de fête. En approchant pourtant, le paysage s’accentue. Un donjon massif se dresse derrière quelques arbres hachés, robuste et digne d’un baron bardé de fer. L’entourage en est assez verdoyant. C’est une