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espaces désolés sont la nécropole du peuple-roi, qui, ici même, a vécu, travaillé, joui, souffert. Cela fut quelque chose, ce n’est plus que le néant.

Ce néant, on l’appelle l’agro romano. Deux cent mille hectares environ, terrains d’alluvion au bord de la mer et plateaux volcaniques le long des montagnes, voilà le patrimoine de Saint-Pierre tel que les siècles, les révolutions, les incapacités des papes, viennent de le léguer à la nouvelle Italie. L’Italia risorta s’établit dans un cimetière. De la Toscane aux provinces napolitaines, sur une longueur considérable, le désert ! Les plages où le commerce affluait, où Antium, Laurente, Ostie, florissaient : désert ! Les campagnes fertiles où Veïes combattait Rome naissante, où Fidènes rivalisait avec le Palatin, — Numente, où l’on se battait naguère (Mentana), — les Marais-Pontins, où s’étalaient jadis vingt-trois cités : désert ! on parle bien de Porto-d’Anzio, Nettuno : n’allez point à ces bourgs délaissés, les brigands vous rançonneraient en route, dans ces mêmes bois où les patriciens romains se faisaient porter en litière jusqu’aux bains de mer. On parle encore de Monte-Rotondo, de Borghetto, de Civita-Castellana, de Ronciglione, de Montefiascone, ce sont des noms plutôt que des choses, de simples appellations géographiques ; le moindre bourg de France ou de Navarre a plus d’importance que ces groupes de bicoques oubliées dans la solitude. Les environs immédiats de Rome, en tout cas, ne sont qu’un territoire sans habitans. Il faut sortir du Latium et franchir les monts étrusques pour trouver avec Viterbe une véritable petite ville, épine rebelle dans la couronne de saint Pierre. Quant à Civita-Vecchia, c’est un bourg bâtard, moitié citadelle. moitié port de mer, qui depuis longtemps n’exportait plus que des chapelets ou n’importait que des zouaves croisés pour la guerre sainte.

On l’a dit avec raison : Rome a une sorte d’influence mortifère ; plus on s’en éloigne, plus on trouve de vitalité, de circulation, d’habitations. Contrairement à tous les organismes connus, c’est aux extrémités que la sève afflue surtout. Frascati, Albano, ne vivent qu’à l’état de lieux de plaisance, destinés à la villégiature pendant les saisons chaudes. Qui parlerait de Tivoli sans ses cascades, de Subbiaco sans ses paysages ? Mais éloignez-vous un peu : vous rencontrerez déjà Velletri avec ses vignobles, Terracina avec son cap épique, Sonnino, patrie d’Antonelli, Anagni, Ferentino, Frosinone, lieux dont on ne peut dire qu’une chose, c’est qu’ils sont devenus stations de chemin de fer, et dans le voisinage de ces noms obscurs ou fameux, autour, partout, le désert, — le désert parsemé non pas d’oasis, mais de roches nues aux aspérités desquelles sont