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établissemens du gouvernement, la ville européenne et les habitations adjacentes des Indiens qui nous restaient fidèles. Si, au lieu de dénoncer sans cesse à l’opinion, qu’elle surexcitait outre mesure, les perfidies de nos voisins d’outre-Manche, l’opposition eût plus franchement aidé le ministère à sortir du mauvais pas où son imprudence l’avait engagé, si elle lui eût prêté un honnête et loyal concours, jamais on n’aurait eu cet affligeant spectacle d’une poignée de Français soutenant au bout du monde, pour l’honneur compromis du drapeau, une lutte aussi inégale ; mais nous n’avons qu’un faux patriotisme. Quelles que soient les humiliations que le sort lui inflige, on dirait que la France s’en croit suffisamment vengée dès qu’elle y peut trouver l’occasion d’accuser le pouvoir qui la gouverne : odieuse satisfaction que les braves gens laissés à Taïti auraient payée cher, si leur chef n’eût été de la race de ces anciens « découvreurs » à qui nous dûmes jadis la possession du Canada et de la Louisiane !

Le 20 mars 1846, à cinq heures du soir, la ville se trouva tout à coup envahie par une foule d’Indiens venus du camp de Punavia. Cette bande avait pénétré par le côté de l’ouest pendant que toutes nos troupes étaient occupées au travail sur les défenses de l’est. C’était en effet par le camp de Papenoo et non par celui de Punavia qu’on s’attendait à être attaqué. Étonnés de ne rencontrer aucune résistance, les Indiens s’avancèrent jusqu’aux abords de l’hôtel du gouvernement. Des ouvriers de l’Uranie, laissés à terre par cette frégate au moment d’un départ précipité, furent les premiers qui reconnurent l’ennemi. Ils poussèrent le cri aux armes ! et envoyèrent prévenir le gouverneur. En un instant, la générale est battue, les troupes jettent à la hâte les pelles et les pioches qu’elles avaient aux mains pour saisir leurs fusils, toujours formés en faisceaux sur le lieu du travail. Elles arrivent au pas de course et refoulent les Indiens dans la campagne. À huit heures du soir, tout était terminé, mais l’alerte avait été chaude. Cette attaque n’était cependant qu’un épisode de l’action générale concernée entra les trois centres de l’insurrection. On pouvait craindre que la jonction des forces ennemies n’amenât des assauts simultanés auxquels il serait difficile d’opposer partout une résistance également heureuse. Des dispositions furent prises en vue de cette éventualité. Les femmes, les vieillards, les enfans de nos alliés, contraints à se réfugier dans la ville, les invalides et tous ceux qui n’étaient pas propres à porter les armes, furent conduits sur l’îlot de Motu-Uta, situé au milieu de la rade et protégé par le voisinage des bâtimens de guerre. Pendant que le gouverneur prenait ces mesures pour le salut commun, on le pressait de toutes parts de mettre en sûreté sa propre famille. Pourquoi ne l’envoyait-il pas sur un des