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avait cependant de grandes chances de réussite, si elle n’eût trouvé sur son chemin l’opiniâtre adversaire avec lequel, en dépit de toutes les conventions souscrites en Europe, il nous fallait lutter bien plus qu’avec les Indiens insoumis. Un officier anglais de la Salamandre qui avait obtenu la permission d’aller à Morea n’hésita pas à se rendre à Huahiné. Il franchit les 30 lieues qui séparent ces deux îles dans une simple pirogue, et se mit en communication avec les indigènes. Sa visite confirma les chefs dans leurs idées de résistance. Après avoir vainement épuisé tous les moyens en son pouvoir pour arriver à un arrangement pacifique, le commandant de l’Uranie dut se résoudre à commencer les hostilités. Le 18 janvier 1846, une expédition, composée de 450 marins et soldats, marcha en deux colonnes sur le camp ennemi. Une cinquantaine de ces aventuriers étrangers dont les îles de l’Océanie abondent, que les baleiniers déposent sur toutes les plages et qui prennent parti dans toutes les querelles, des bandits, héritiers des traditions que mirent autrefois en honneur les « frères de la côte, » s’étaient chargés de diriger la défense des Indiens. Nos troupes enlevèrent successivement toutes les positions sans pouvoir s’emparer du réduit où l’ennemi s’était retranché ; la difficulté du terrain avait arrêté la colonne qui devait prendre cet ouvrage à revers. Il fallut se décider à battre en retraite, après avoir eu 18 hommes tués et 43 blessés.

Le commandant de l’Uranie, le capitaine Bonard, compagnon de captivité du gouverneur sur les plages d’Afrique, associé à sa fortune depuis plus de quinze ans, était un de ces officiers que leur entreprenante audace ne rend pas toujours victorieux, mais qui ne se tiennent pas facilement pour vaincus. Il s’apprêtait à reprendre avec l’opiniâtre énergie qui était le trait saillant de son caractère une attaque dont il ne voulait attribuer l’insuccès qu’à un mécompte tout à fait imprévu, lorsqu’il reçut l’ordre formel et pressant de ramener, sans perdre une minute, sa frégate à Taïti. Une levée de boucliers, soudaine, irrésistible, telle que l’île n’en avait pas encore vu, exigeait impérieusement la concentration de nos forces. Papeïti était menacé de trois côtés : au nord par le camp de Papenoo, au sud par celui de Punavia, à l’est par les Indiens établis sur les sommets inaccessibles de Fatahua, dont la vallée débouche aux portes mêmes de la ville. Ainsi enfermé dans un cercle qui ne lui laissait d’issue que la mer, le gouverneur envisagea d’un œil calme la situation. Le chiffre de ses troupes ne s’élevait pas, depuis le départ de l’Uranie, à 600 hommes, même en y comprenant les ouvriers et les employés civils. C’était avec ce petit nombre de défenseurs qu’il fallait contenir les forces au moins quadruples de l’insurrection, soutenir les postes détachés, faire face à toutes les attaques, couvrir enfin l’espace considérable qu’occupaient les