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7 pieds de profondeur, recouverts d’une toiture à l’épreuve de la balle, et, bravant de ces retranchemens qu’ils croyaient inexpugnables toutes les menaces du gouverneur, ils refusaient obstinément de se disperser. Avant de se décider à frapper un grand coup, sentant bien qu’il allait infliger aux rebelles assez imprudens pour l’attendre de pied ferme une cruelle et sanglante leçon, le commandant Bruat voulut tenter un dernier effort sur l’esprit de celui à qui dans sa pensée devait remonter la responsabilité de ces déplorables troubles. « Tout tend à me prouver, monsieur, écrivit-il au capitaine Hunt, que votre bâtiment est non plus un lieu d’asile, mais un centre d’où partent les intrigues qui mettent en danger la tranquillité de l’île. Je vous en préviens à temps pour que vous n’ayez pas à vous reprocher plus tard les châtimens qui pourraient être encourus par les malheureux qu’on pousse à la rébellion, et je vous en préviens officiellement afin que nos deux gouvernemens puissent juger en connaissance de cause de nos deux conduites respectives. »

Ce langage était dur. Peut-être hésiterait-on aujourd’hui à le croire pleinement justifié ; toutefois, à l’heure où de pareils soupçons trouvaient place dans un document officiel, on n’eût pu sans faire mettre en doute son patriotisme se refuser à les partager. Telles sont les fâcheuses conséquences des situations fausses. Animés du plus vif et du plus sincère désir de maintenir la paix, les deux cabinets, en ne coupant pas à la racine un regrettable incident, s’étaient exposés à rallumer des passions qu’on eût crues à jamais éteintes. Les relations de deux grands peuples avaient rétrogradé de vingt ans, et les pauvres Taïtiens allaient payer les frais de la querelle.

La Charte venait d’arriver à Papeïti. En joignant la compagnie de débarquement de cette frégate à celles de l’Uranie, de l’Embuscade et du Phaéton, le gouverneur pouvait laisser 350 hommes à Papeïti, 150 à Taïrabou, et conduire encore à l’attaque des retranchemens de Mahahena 461 soldats et marins. Il était impatient d’en finir, et jugea cet effectif assez fort. Les retranchemens qu’on n’avait pu réussir à tourner furent abordés de front. Après quatre heures et demie d’engagement, nous restions les maîtres du champ de bataille. Le corps de débarquement comptait 18 morts et 52 blessés, mais l’élite de la noblesse taïtienne avait péri et la tranquillité de l’île était pour quelque temps assurée.


II

Le gouverneur n’avait eu recours aux armes qu’à la dernière extrémité. Voyant les populations atterrées, les meneurs abattus, les chefs les plus jeunes et les plus ardens morts dans la lutte, la