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plus heureux résultat de leurs efforts, le cabinet de lord Aberdeen n’avait aucune objection contre l’exercice du droit que nous nous étions arrogé. Le lion britannique nous faisait de bonne grâce notre part au soleil. Forts de cet assentiment et du nouvel argument dont ils pouvaient appuyer leur projet, les ministres reparurent le front haut à la chambre. On ne voulait pas des Marquises : repousserait-on avec le même dédain « la reine de l’Océanie ? » L’opposition cette fois ne trouva rien à répondre, et le cabinet raffermi se hâta de faire partir pour Nouka-Hiva le capitaine de vaisseau Bruat, muni du double titre de « gouverneur des Marquises et de commissaire du roi aux îles de la Société. »

La condescendance empressée de l’Angleterre fit-elle regretter au gouvernement français de n’avoir pas profité de ces bonnes dispositions pour pousser plus loin ses avantages ? Eut-il, dès ce moment, la pensée d’échanger la situation mal définie du protectorat pour une domination moins précaire ? Le gouvernement britannique dut le supposer, lorsqu’il apprit quelques mois plus tard que l’arrivée du commandant Bruat aux Marquises avait été le signal du départ de l’amiral Du Petit-Thouars de Nouka-Hiva pour Taïti, et que, vers la fin du mois d’octobre 1843, le protectorat avait fait place à la prise absolue de possession. De là vint surtout l’extrême irritation qui s’empara sur-le-champ des esprits de l’autre côté de la Manche. L’Angleterre s’imagina qu’on avait voulu la tromper, et, de toutes les offenses, c’est peut-être celle qu’elle pardonne le moins. Le soupçon cependant était injuste. Le cabinet français avait été loyal dans ses déclarations, non moins loyal dans les ordres qu’il avait donnés ; mais les entreprises maritimes sont plus que d’autres sujettes aux malentendus, et la lenteur des communications allait faire de l’incident presque insignifiant dont on s’était flatté de restreindre la portée un des plus gros événemens du règne.

Malgré sa fertilité, malgré la beauté de son climat et les précieux abris qu’offrent ses côtes, l’île de Taïti n’était pas, avec ses neuf ou dix mille âmes répandues sur une superficie de 108,000 hectares, une possession tellement enviable qu’elle dût mettre en péril la bonne intelligence de deux grandes nations. Malheureusement les rapports peuvent s’aigrir avant même que les intérêts soient en jeu, et la jalousie politique est prompte à s’éveiller quand elle a pour aiguillon la passion religieuse. Les deux gouvernemens devaient donc faire de stériles efforts pour pénétrer leurs agens des sentimens de cordialité qui les animaient. La conduite équivoque du capitaine Toup Nicholas, de la Vindictive, avait motivé la grave détermination dont se plaignait si amèrement lord Aberdeen. Le désaveu de l’amiral Du Petit-Thouars, accordé aux réclamations, de