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toujours une certaine force des choses qui fera qu’en France le gouvernement est nécessairement plus puissant qu’ailleurs. Un pays continental est fatalement un pays militaire ; nous ne le voyons que trop, hélas ! par une cruelle expérience ; or un pays militaire est un pays où le pouvoir est fort, car, plus il a de responsabilité ; plus il doit avoir de moyens d’action. Ce sont là des conditions fâcheuses d’existence, dont il faut accepter les conséquences en les réduisant au strict nécessaire. La politique abstraite a raison de poser les vrais principes ; mais la politique concrète a pour objet de faire concorder ces principes avec les élémens tels quels d’une situation donnée. Nous sortirions d’ailleurs de notre objet, si nous voulions suivre l’auteur dans ses plans de reconstruction sociale et politique, sur lesquels nous ne serions pas toujours d’accord avec lui ; nous admettons entièrement sa conclusion, qui est aussi la nôtre, à savoir qu’il ne peut être question de réagir contre la révolution, mais qu’il faut au contraire reprendre son œuvre, la consolider, la continuer en se servant des études faites et des expériences acquises pendant soixante-dix ans.

Ce qu’il faut condamner en effet dans la révolution, ce ne sont pas les principes, ce sont les moyens. Le but était sage et juste ; les moyens ont été détestables, et les moyens ont souvent altéré les principes et leur ont communiqué leur propre corruption. Il s’est fait alors une confusion dans l’esprit des hommes, le mot de révolution ayant signifié à la fois le but et les moyens. Il faut savoir à la fois admirer le but qui est bon, réprouver les moyens qui sont mauvais. C’est ainsi qu’il faut être fidèle à l’esprit de la révolution, tout en répudiant l’esprit révolutionnaire.

Tout le procès de la révolution peut se ramener à cette antinomie. La révolution a voulu atteindre le droit et n’a su employer que la force, de sorte qu’en même temps qu’elle cherchait à établir la justice, elle la violait, et que les partis exagérés qui prétendaient la représenter dans sa pureté, ont fini par confondre la justice avec la force, et appeler liberté un appétit insatiable de tyrannie. La force est sans doute l’auxiliaire de la justice, et un instrument nécessaire des choses humaines ; une société régulière ne peut s’en passer. De plus, lorsque le droit est par trop violé ici-bas par les pouvoirs légaux, quel autre moyen de le redresser que la force ? L’Amérique, l’Angleterre, la Hollande nous en ont donné l’exemple ; mais la force ne peut être admise que comme moyen de résistance à l’oppression, et non comme moyen d’oppression. De plus, l’emploi de la force ne doit être que rare et exceptionnel, il ne doit pas dégénérer en habitude. Tel est le double vice de notre révolution, que la force, au lieu d’y avoir été seulement un moyen de résistance, y est -