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la hiérarchie et sur les privilèges vaut mieux qu’une société livrée à la poursuite brutale de l’égalité ; qui ne voit que l’un des piliers de cette société hiérarchique était la foi ? Qui ne voit que l’inégalité n’est supportable aux hommes que quand elle vient de Dieu ? Et comment se figurer qu’un homme qui ne croit plus à l’église continuera de croire à son seigneur et à son roi ? Rendez-nous la sainte ignorance du moyen âge, et nous aimerons encore nos seigneurs (en supposant qu’on les aimât tant), nous aimerons nos rois, nos prêtres, nos églises, nos reliques. Pour retrouver ce temps d’innocence, il faudrait que l’esprit d’examen consentît à disparaître et rendit les armes à toutes les vieilles autorités. La critique peut-elle nous demander de croire encore à la sainte légende de Reims lorsqu’elle nous dépouille de la légende de Jésus ? On ne doit point, dans la société nouvelle, prendre et rejeter ce qui convient, au gré de ses goûts personnels, prendre le principe de la liberté de la pensée et de la science, et rejeter le principe de l’indépendance personnelle. Tout cela forme une société une, qui n’a pas encore trouvé son assiette, mais qui n’a plus rien de commun avec cette du moyen âge. La politique consiste à voir les choses comme elles sont, et non comme on voudrait qu’elles fussent. L’utopie du passé est aussi dangereuse peut-être que l’utopie de l’avenir.

C’est d’ailleurs un procédé trop facile de prendre le bien d’un côté, de l’autre le mal, d’idéaliser l’un et d’exagérer l’autre. Ce n’est pas ainsi que l’histoire rigoureuse doit procéder, et c’est confondre la politique avec l’esthétique et la poésie. Il faut comparer chaque société avec ses biens et ses maux, sans exagérer par l’imagination ni les uns ni les autres : or ce travail fait avec soin donnerait peut-être des résultats bien différens de ceux que proclame notre brillant critique. Sur un point essentiel, on peut dire que la lumière est faite : c’est la question du bien-être. On reconnaît au moins sur ce point la supériorité de la société nouvelle ; toutefois on en parle avec quelque dédain, comme d’une chose de peu d’importance en comparaison des beautés morales et poétiques du régime aristocratique. Cependant, lorsque nous lisons dans Vauban que le dixième de la population était réduit à la mendicité, il faut reconnaître qu’il y avait quelques ombres à ces beaux tableaux. Encore une fois, la politique n’est pas l’esthétique. Elle n’a pas le droit de traiter de haut le bien-être des hommes, et il est permis de dire que le vrai critérium d’une société bien constituée est précisément ce bien-être si méprisé. Une société riche est une société qui travaille ; une société qui travaille n’a pas de mauvaises mœurs, quoi qu’on puisse en dire sur les fausses apparences que présentent les grandes villes. Une société qui a des mœurs a de bons soldats et avec de l’instruction elle aura de bons citoyens. Telle est la série