Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/277

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi qu’elles finissent toujours par y pénétrer plus ou moins. Il n’est pas moins certain que les mouvemens populaires deviennent stériles quand ils ne proviennent pas de principes nés au-dessus d’eux : le jacobinisme et le socialisme sont des doctrines venues au monde dans les classes lettrées. Si ces doctrines ne trouvent plus d’aliment dans le sein des classes dirigeantes, il y a lieu d’espérer que leurs conséquences s’atténueront ou s’affaibliront avec le temps. Quoi qu’il en soit de ces prévisions optimistes, reprenons la suite de ces études et conduisons-les jusqu’au temps présent.


I. — LA REPUBLIQUE ANTI-JACOBINS. — MM. MICHELET ET QUINET.

Le jacobinisme socialiste étant le terme le plus avancé de la philosophie révolutionnaire, c’est de ce point qu’il faut partir pour revenir à des idées plus justes et plus modérées. Si la polémique contre les idées fausses est toujours utile, elle l’est surtout lorsqu’elle part des camps les plus voisins de ceux qui défendent ces idées. Par exemple, un républicain qui attaque le jacobinisme a beaucoup plus d’autorité qu’un conservateur. Celui-ci en effet est toujours suspect d’avoir des préjugés, et il en a ; il ne fait pas les concessions nécessaires, et, injuste sur certains points, on peut supposer qu’il l’est sur tous. Il confondra volontiers dans une réprobation commune le jacobinisme et la démocratie, le socialisme et la république, et par là il fortifiera sans le vouloir le jacobinisme et le socialisme de tous les élémens de force réelle que la démocratie et la république peuvent posséder dans l’état social de notre temps. Le républicain au contraire, en combattant le jacobinisme et le socialisme, réduit ces sectes extrêmes à elles-mêmes, et leur enlève l’appoint des principes démocratiques. On aura donc raison de présenter les historiens républicains de la révolution qui se sont séparés du jacobinisme comme ayant rendu à la cause de l’ordre et de la liberté des services plus efficaces peut-être que les historiens rétrogrades et conservateurs. Tel sera le mérite commun de deux écrivains dont les noms sont liés par l’amitié, par l’origine commune de leur célébrité, par la communauté de leurs opinions et l’analogie même de leurs points de vue, MM. Michelet et Quinet, deux noms qui paraissent aussi inséparables que ceux de MM. Thiers et Mignet, et qui de même que ceux-ci se sont appliqués au problème de la révolution ; l’un plus poète, l’autre plus philosophe, tous deux éminens écrivains malgré les mirages qui égarent trop souvent l’imagination de l’un et les nuages qui obscurcissent la pensée de l’autre.