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des idées de conciliation de 1830 disparaissent. Ils sont remplacés par des élèves ou des amis des jésuites, prêts à tout faire pour assurer le triomphe de l’église. Quand les deux chambres seront peuplées de membres de cette nuance, comme l’espèrent les évêques, c’est alors qu’ils feront adopter des mesures qui réduiront le parti libéral à l’impuissance, et rendront définitif le règne des couvens et des pères de l’ordre de Jésus.

Les hommes du XVIIIe siècle et leurs héritiers n’ont pas vu l’influence décisive de la religion sur la destinée des peuples. Ayant cessé de croire, ils n’ont pas compris l’empire que les croyances exercent. Bien peu d’hommes s’en rendent compte, même aujourd’hui. C’est un des grands mérites de M. Edgar Quinet d’avoir prouvé ce fait par l’histoire de la révolution française et par celle des événemens du XVIe siècle. La constitution de l’état finit par se modeler sur celle de l’église, et, si on met obstacle à ce que cette conformité s’établisse, il en résulte des troubles incessans, une lutte acharnée et une instabilité universelle. Le christianisme, à l’origine, était une démocratie égalitaire et libre où tous les pouvoirs émanaient de l’élection. L’autorité était exercée par des assemblées délibérantes, le conseil des anciens pour chaque église locale, le concile pour l’église universelle ; depuis que le christianisme est devenu le catholicisme, il s’est rapproché successivement, dans une évolution historique de quinze siècles, de l’organisation de l’empire romain. La proclamation de l’infaillibilité du pape vient enfin d’apporter au majestueux édifice son couronnement obligé. Aujourd’hui le gouvernement de l’église présente l’image d’un despotisme aussi parfait et mieux obéi que celui qui existait à Rome sous les empereurs. Le pape nomme les évêques, les évêques nomment les prêtres, et tous doivent une obéissance sans limite au suprême arbitre de la vérité, au maître des consciences. L’élection par le peuple, générale à l’origine, a cédé la place à l’institution par les supérieurs hiérarchiques. Toute délibération a été supprimée, et le concile lui-même, type admirable du régime parlementaire, reste vénérable d’un temps de libre discussion, a été remplacé par la décision papale ex cathedra. Les institutions politiques ont subi un changement parallèle dans les pays catholiques, surtout à partir du XVIe siècle et après le concile de Trente. Les libertés locales et parlementaires ont été anéanties. En Autriche, en France, en. Espagne, la centralisation et le despotisme se sont élevés sur leurs ruines. Au contraire les presbytériens, en même temps qu’ils retournaient aux origines du christianisme, fortifiaient l’autonomie communale, et fondaient des institutions républicaines dans les Pays-Bas, en Angleterre et enfin en Amérique.