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Le lecteur, s’étonnera peut-être qu’ayant à faire connaître une crise politique, nous n’ayons parlé que de finance. C’est que la finance, la politique et la religion, dont les champs d’action devraient être toujours rigoureusement séparés, ont été mêlées en cette affaire d’une façon si intime que l’on ne peut faire comprendre l’incident politique sans rappeler d’abord le désastre financier qui l’a provoqué, comme on va le voir.

Les élections de juin 1870 avaient réduit la majorité libérale dans la chambre des représentans à une ou deux voix. A la suite de cet échec, le ministère Frère-Orban ne crut point pouvoir conserver la direction des affaires. Il offrit sa démission, et le ministère d’Anethan se constitua. Celui-ci procéda, sans même réunir le parlement, à la dissolution des deux chambres. Cet acte était peu régulier, car le ministère aurait dû d’abord se présenter devant les chambres et ne les dissoudre qu’après avoir constaté un refus de concours. La dissolution doit être non pas un jeu, mais un moyen extrême de sortir d’une situation sans issue. Il est très étrange de renvoyer devant leurs électeurs de nouveaux élus sans leur permettre même de manifester leur opinion. Il s’est trouvé ainsi que plusieurs, n’ayant pas été renommés, n’ont pu mettre le pied au parlement.

Une faute plus grave au point de vue constitutionnel a été de dissoudre le sénat. Il est naturel que les hommes de parti qui arrivent aux affaires veuillent avoir les deux assemblées à leur dévotion absolue ; mais le souverain doit résister à ce désir autant qu’il le peut, sinon la raison qui a fait établir deux chambres n’existe plus. Si l’une doit être exactement le reflet de l’autre, l’une des deux est un rouage inutile. Le but d’une chambre haute est de constituer un centre de résistance contre l’omnipotence du parti triomphant. On a eu tort de chercher ce point d’appui dans la richesse, au lieu de le demander à la science politique et à l’expérience des affaires ; mais il est bon que cette résistance se trouve quelque part. En Belgique, le sénat est une institution mal conçue ; ses membres sont nommés par les mêmes électeurs qui choisissent les représentans : on a seulement limité leur choix de façon qu’ils ne puissent être représentés comme ils voudraient et devraient l’être. Cependant, comme le mandat de sénateur dure huit ans, on peut dire que le sénat personnifie au moins l’esprit de tradition. Or, si l’on soumet le sénat à des dissolutions fréquentes, il perd cet avantage : le mandat de huit années n’est plus qu’une fiction. On n’a qu’une seconde édition, réduite et non améliorée, de la chambre basse.

Les secondes élections de 1870 apportèrent aux catholiques, par suite d’un système électoral vicieux, une grande majorité dans les deux chambres, quoiqu’ils n’eussent pas obtenu la majorité des