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rentrée dans son calme habituel. Quoique déjà presque oubliée au milieu des graves soucis qui tiennent les esprits en éveil ou plutôt dans l’anxiété, cette crise mérite une étude plus attentive pour deux motifs. D’abord elle a soulevé un cas de pratique constitutionnelle extrêmement difficile, et tous les pays où le régime parlementaire existe peuvent tirer un utile enseignement de la manière dont la difficulté a été résolue à Bruxelles. En second lieu, elle est le symptôme d’une situation très grave qui n’est pas seulement propre à la Belgique, mais qu’on rencontre, avec des caractères presque identiques, dans la plupart des pays catholiques.


I

Rappelons brièvement les faits, et on comprendra sans peine l’irrésistible mouvement d’opinion qui s’est produit en Belgique. Supposez qu’après la chute du système de Law, quand le célèbre financier venait de se dérober par la fuite aux fureurs de la population, un ministère se fût formé avec quelques-uns des administrateurs de la compagnie d’Occident, et que ce ministère eût nommé gouverneur de province un des administrateurs de la compagnie d’Orient, qu’eût dit la France ? L’exaspération eût été telle que le régent aurait dû choisir entre la perte du pouvoir et le renvoi immédiat d’un semblable ministère. Ce qui se serait passé à Paris en 1719 vient de s’accomplir à Bruxelles en 1871. Voilà en peu de mots l’explication de l’incident. La Belgique avait eu son Law dans la personne de M. Langrand-Dumonceau, fait comte par le pape. Même superposition de sociétés se prêtant mutuellement leur crédit, même engouement de la part de la noblesse, même mélange d’idées justes et d’expédiens injustifiables, même succès vertigineux d’abord et même chute désastreuse bientôt après ; seulement les mirages de la Hongrie tenaient lieu de ceux du Mississipi.

En parlant de Law à propos de M. Langrand, je ne crois point faire tort à celui-ci. Law était un honnête homme. Il est arrivé à Paris avec plus d’un million, et il en est parti pauvre. Il a été un des précurseurs de l’économie politique et de la science financière. Ses principes étaient justes et ses idées fécondes. La Banque de France, les grandes sociétés anonymes, la conversion de la rente, la circulation fiduciaire, tous ces puissans mécanismes de l’industrie et du commerce contemporains ne sont que l’application de ses conceptions. M. Langrand, pour faire réussir en Belgique une nouvelle édition du « système, » s’était appuyé sur deux idées. La première était une idée purement financière, au fond très bonne, si