Le banquier Maubray, terrible, étrange, masqué, est tout à fait un personnage de drame violent, qui, durant deux actes, attend le moment de charger l’ennemi,… machine de guerre qui n’intéresserait qu’autant qu’on vous ferait voir l’homme qui se cache là-dessous. Le banquier est sombre, glacial ; il parle d’une façon sèche et rapide, c’est fort bien ; mais ces particularités sont précisément celles qui distinguent l’acteur chargé de ce rôle, de sorte qu’il y a excès, et ce débit saccadé, bref, rapide, est tout près d’être simplement un bredouillement qui révèle bien moins un caractère qu’un défaut de prononciation.
Le confident Briac est charmant d’un bout à l’autre, il est impossible de jouer avec plus de tact et de finesse, de dire avec plus d’esprit ; ce rôle d’ailleurs me paraît être, quoique accessoire, le plus complet et le plus logique.
Le vicieux petit jeune homme qu’on appelle Achille de Beaubriand manque absolument d’individualité. Ce n’est qu’un composé légèrement banal de tous les mots et de tous les gestes que l’on attribue communément aux gens de son espèce. Il n’y a là que l’enveloppe d’un caractère, l’apparence d’une personnalité, et, en dépit du talent de l’acteur, de son érudition, de sa mémoire, ce personnage, trop important, sonne bien creux. La jeune actrice qui joue Christiane a une beauté, une fraîcheur et un charme qui la dispenseraient presque d’avoir du talent, et font qu’on est doublement sympathique à celui qu’elle a.
Rien à dire des autres rôles, qui sont fort décemment remplis. En somme, le succès de cette pièce me paraît assuré, et à un certain point de vue on doit s’en féliciter ; mais il serait bon que le Théâtre-Français ne s’aventurât pas avec trop de confiance dans cette petite voie, qui n’est qu’un chemin de traverse.
Atteint déjà par la maladie à laquelle il a succombé, mon fils avait préparé la publication intégrale du voyage dans lequel se sont épuisées ses forces, et j’achève aujourd’hui ce qu’il avait commencé[1]. Ce livre, dont la rédaction a été sa dernière joie, conservera du moins une trace de lui sur cette terre, où l’attendait un grand avenir, selon des
- ↑ Sous presse, pour paraître en janvier à la librairie Dentu, Voyage dans l’Indo-Chine et dans l’empire chinois, par Louis de Carné, membre de la commission d’exploration du Mékong ; 1 fort volume avec cartes et gravures. — Voyez aussi l’Exploration du Mékong, dans la Revue de 1869 et 1870.