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décore, pour ne pas parler comme tout le monde, du nom de mandat contractuel. Et que dit-il, ce mandat démocratique ? Il dit que M. Hugo doit réclamer, entre autres choses, l’amnistie pour les insurgés de la commune, la levée de l’état de siège, la dissolution de l’assemblée. En d’autres termes, le radicalisme réclame l’amnistie pour retrouver son armée, la levée de l’état de siège pour pouvoir se servir de cette armée, la dissolution de l’assemblée dans l’espoir de s’emparer du pays par une surprise de scrutin. Eh bien ! pour un instant, nous admettons ce programme, en y ajoutant même, à titre de couronnement, M. Victor Hugo comme président de la république radicale avec M. Gambetta pour premier ministre, à moins que M. Gambetta ne préfère être président en laissant à M. Victor Hugo le rôle d’augure. Sait-on quelle est la première conséquence invincible, inévitable ? C’est la réoccupation immédiate par les Prussiens des départemens évacués, probablement la guerre par impatience révolutionnaire, dans tous les cas des convulsions sanglantes, et au bout choisissez : peut-être un démembrement nouveau du pays, peut-être l’empire, peut-être les deux choses à la fois, c’est le dernier mot d’un triomphe du radicalisme parmi nous.

La France, sans se trahir elle-même, ne pourrait évidemment s’abandonner à des passions impitoyables qui la livreraient à une conquête tout aussi impitoyable ; elle n’en a aucune envie, et, si elle était placée en face de cette extrémité, elle reculerait épouvantée. Le danger pour elle, ce serait d’être conduite à un résultat qui ne serait pas absolument différent par la désunion de toutes les forces de conservation et de prévoyance, par l’incohérence des partis conservateurs, par le conflit latent et dissolvant de toutes les arrière-pensées, de toutes les espérances qui se disputent le pays au risque de le déchirer. Quelle est aujourd’hui l’unique garantie de la France ? C’est l’union de patriotisme et de raison formée entre tous ces partis libéraux, conservateurs, modérés, qui représentent les intérêts, les vrais instincts, les inclinations, les habitudes de la société française, et qui, en sacrifiant ce qu’ils ont de particulier ou d’exclusif, ont mis en commun leurs bonnes volontés dans une pensée supérieure de bien public, de sauvegarde nationale. C’est la trêve sacrée, prévoyante, des opinions. Tant que l’union reste intacte, permanente, sincère, le pays se sent en sûreté, il n’a rien à craindre. Qu’a-t-il à s’inquiéter de savoir si c’est un régime définitif ou un régime provisoire, si c’est la république ou la monarchie, puisque c’est lui-même qui vit dans son assemblée, dans son gouvernement ? Le jour où cette union a l’air d’être ébranlée ou menacée par les impatiences des partis qui se lassent d’attendre, par les préoccupations individuelles, par les incompatibilités personnelles, le péril commence, tout est livré à la merci des incidens qui se succèdent, qu’on recherche et qu’on redoute à la fois, autour desquels se groupent des majorités mobiles et chan-