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de demi-civilisation où ils vivent aujourd’hui. Demander à ce peuple de refaire immédiatement sous nos yeux son éducation agricole, appeler sans transition ses facultés sur des points nouveaux qu’il ignore, serait un moyen tout au moins douteux d’arriver à nos fins ; le temps peut amener les indigènes à participer un jour et dans la mesure de leurs forces au mouvement qui nous préoccupe, mais ce mouvement dès son principe serait immobilisé dans leurs mains. L’élément étranger a compris dans ces dernières années la richesse naturelle du pays ; qu’on lui ouvre largement les portes, qu’on lui facilite les établissemens agricoles, les opérations industrielles, il apportera dans la colonie son capital, il y placera ses intérêts, et donnera l’essor à cette transformation de culture vers laquelle doit tendre toute pensée française.

Une source étrangère et puissante d’activité commerciale existait depuis longtemps dans le pays quand nous en sommes devenus les maîtres ; nous voulons parler de la colonie chinoise, dont l’origine dans l’Annan remonte à près de deux siècles. Courtiers de commerce, les Chinois transportaient les riz de la Basse-Cochinchine dans les provinces qu’elle approvisionnait ; contrebandiers hardis, ils chargeaient leurs jonques aux embouchures des grands fleuves, trompaient ou gagnaient les surveillans des côtes, et réalisaient de beaux bénéfices à Singapour et à Hong-kong ; marchands ingénieux, artisans habiles, ils détenaient le petit commerce et l’industrie du pays sans que les indigènes fissent rien pour les leur enlever. Vivant sous la loi de l’empire, groupés suivant leurs origines et leurs dialectes en congrégations dont chacune avait un chef responsable vis-à-vis du mandarin de la localité, ils payaient l’impôt comme les Annamites et se mêlaient à eux. L’administration française n’a rien changé à cet état de choses ; les Chinois, nombreux en Cochinchine, y sont, comme par le passé, soumis à la loi annamite et groupés en congrégations. Leur rôle dans la colonie est d’une sérieuse importance : comme autrefois, ils ont à peu près le monopole des transactions commerciales de l’intérieur, ceux des transports de marchandises sur les rivières et du petit commerce dans les centres populeux ; leurs ouvriers rendent à Saigon de grands services, la ferme de l’opium, celle des jeux, de l’eau-de-vie de riz, sont entre leurs mains. Plusieurs ont réalisé des fortunes immenses, et sont prêts à tout entreprendre. Mariés le plus souvent dans le pays, ils y ont leurs intérêts, leurs habitudes ; ils font pour ainsi dire partie intégrante de la population indigène, qui doit forcément s’améliorer sous leur influence, car ils en sont l’âme et la vie.

Jusqu’à ces derniers temps, on a paru se montrer hostile ou tout au moins peu sympathique au développement étranger dans la