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Il faut rendre honneur à ces hommes qui tracent aujourd’hui la route aux agriculteurs de l’avenir : leur travail a déjà vaincu bien des obstacles ; les plantations sont dès à présent en bonne voie d’exécution, il est permis d’espérer que dans peu d’années elles seront en plein rapport.

En 1869, une usine sucrière s’établissait à Bien-hoa, et devenait presque immédiatement la propriété d’une compagnie anglaise. Cette fois, c’était la culture industrielle qui tentait l’aventure. Les Annamites cultivaient la canne aux alentours et portaient leurs récoltes à des propriétaires de moulins qui leur rendaient à un faible « pour cent » du sucre consommable dans le pays, mais absolument impropre à l’exportation en raison de sa mauvaise qualité. On espérait, en s’établissant dans la province, acheter les récoltes ou tout au moins obtenir des cultivateurs qu’ils livrassent leurs cannes à l’usine, qui leur rendrait, dans une mesure relativement avantageuse, des produits également propres à la consommation et à l’exportation. C’était un essai, et, s’il réussissait, la compagnie pouvait réaliser de beaux bénéfices, en attendant le jour où elle travaillerait pour son compte et par ses propres moyens. Le fait attendu ne se produisit pas. En voulant marcher droit au but, on échoua contre les préjugés indigènes ; des offres trop brillantes inspirèrent la défiance aux cultivateurs, et les propriétaires de moulins, entretenant à leur profit cet esprit de résistance, n’eurent pas de peine à conserver dans la province le monopole de fabrication. L’usine chôma. Dès le principe, elle était établie sur un pied qui répondait largement au but d’essai que l’on se proposait. Malgré cet insuccès, la compagnie triplait cependant ses moyens de production pendant qu’elle défrichait aux environs une concession destinée à la culture de la canne, et peut-être, en agissant ainsi, commettait-elle la faute de vouloir devancer le progrès.

Faut-il considérer l’insuccès de l’usine de Bien-hoa comme un échec décisif essuyé par l’industrie sucrière en Cochinchine ? Nous ne le pensons pas, et la mauvaise chance qui s’est attachée à cette entreprise n’a découragé personne. Une œuvre qui a besoin, ne fût-ce qu’à ses débuts, du concours des indigènes ne saurait marcher à grands pas. Le caractère dominant de ce peuple est une incroyable lenteur, un sentiment inné de méfiance et de répulsion pour tout ce qui diffère de ses traditions et de ses usages, une apathie qui souvent lasse les esprits les plus puissans : pour qui connaît bien l’Annamite, la non-réussite de la première usine n’a rien de surprenant ; c’est une épreuve, conséquence assez naturelle des conditions de son établissement. Cette tentative, tout infructueuse qu’elle ait été pour ceux qui l’ont faite, aura rendu service à