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regard sur le passé et sur l’esprit des idées nouvelles qui se développent sous nos yeux.

La nature semble avoir formé cette terre pour l’exploitation de l’homme, tant elle y a fait le sol riche et fertile, tant elle y a multiplié les moyens de communication les plus simples en la coupant de grands fleuves et d’innombrables canaux. La culture primitive devait être celle qui répondait le. mieux au caractère du sol et du climat, aux goûts de, habitant, aux besoins des contrées voisines ; aussi la plus grande partie du territoire cultivé l’était-elle en rizières quand nous en avons pris possession. Un arrêté de la cour de Hué limitait alors l’exportation du riz aux provinces de l’Annam, la Basse-Cochinchine en était le grenier naturel, et dans la mousson favorable de grandes jonques chinoises remontaient au Tonquin. Quand l’occupation française fit de Saigon un port franc, les riz y arrivèrent en masse, et ce fut alors que les navires de toutes nations les transportèrent en Chine et au Japon. Les récoltes de la Chine sont annuellement insuffisantes à l’énorme consommation de tant de millions d’hommes ; celles du Japon sont incertaines, et firent presque entièrement défaut dans les années 1808-1869 : il en résulta un mouvement commercial considérable et un accroissement sensible dans la richesse du pays. Le numéraire, jusqu’alors d’une extrême rareté, diminua de valeur ; l’Annamite, trouvant dans l’exportation à l’étranger le moyen d’écouler ses récoltes à de gros bénéfices, défricha la terre pour la mettre en culture, et si, en raison de l’insuffisance de nos moyens de contrôle, le revenu de l’impôt n’y gagnait pas d’autant, il augmentait cependant chaque jour. On peut expliquer ainsi comment la Cochinchine devint en peu d’années florissante et vivace, soldant une grande partie de ses dépenses, bien qu’elle ne fût pas sûre de sa propre existence, et qu’elle différât entièrement par son administration de ses sœurs aînées des Antilles et de la mer des Indes.

Cette administration devait être aux débuts exempte de tous rouages compliqués ; . la plus simple était la plus favorable à nos intérêts, c’était aussi la moins coûteuse. Avant tout, il y avait une étude à faire, étude d’autant plus complète que les élémens faisaient absolument défaut. Arrivant dans un pays jusqu’alors inconnu, nous nous trouvions en présence d’un peuple libre qui avait son passé, son histoire, sa législation, et c’était cette nation vaincue de la veille, dont nous ignorions la langue et les mœurs, qu’il fallait nous assimiler. C’eût été s’exposer alors à de graves mécomptes que d’engager avec les susceptibilités nationales une lutte de chaque jour, en cherchant à mettre en pratique les règles ordinaires de notre administration ; aussi comprit-on sans peine qu’il fallait se