le retenait, un combat se livrait dans son esprit entre la crainte de l’opinion publique et l’ambition, « Quoique bien des gens aient l’air d’en faire fi, écrivait-il à sa femme, la 6 juillet 1722, ce sont pourtant toujours des troupes du roi, attachées à la vérité à un homme pour qui l’on n’a pas grande considération, mais ce sont des troupes du roi, et cela mettrait de l’aisance dans notre famille. Raisonnez-en, je vous prie… » Huit jours après, il change de ton et se rétracte fièrement. « Je n’ai parlé à personne de l’idée qui m’était venue, car je n’aime point cela, pas même pour le chevalier. » — Notre normand, qui se renseignait aux bons endroits, avait eu vent de la résolution prise par le cardinal de n’avoir point de mousquetaires.
Cette correspondance est utile, surtout pour donner à certains détails de l’histoire contemporaine un degré de précision auquel on atteindrait difficilement sans cela. On y trouve la date exacte des faveurs et des disgrâces, des exils et des retours, des pensions et des promotions, événement très minces, qui pour les curieux et les ambitieux étaient alors toute la politique. Il s’y glisse quelques nouvelles de la république des lettres à propos des ouvrages courus et des pièces à succès. C’est ainsi qu’il y est fait mention des tragédies et des aventures de Voltaire. L’ami des d’Argenson, l’hôte des Caumartin, ne pouvait être pour la marquise un étranger, peut-être même l’avait-elle entrevu chez ses frères ou chez ses neveux dans l’un de ses voyages à Paris ; quant au marquis, il connaissait certainement notre poète, car il par le fort souvent de lui. Il était à la première représentation d’Œdipe en compagnie de son neveu, d’Argenson le cadet, le jour même où d’Argenson l’aîné et Mlle Mélian se voyaient aux Filles-Sainte-Marie. « L’entrevue se fit vendredi, écrit-il le 19 novembre 1718 ; le cadet n’alla point au couvent, il vint à Œdipe, tragédie nouvelle où je le vis un moment. » Comment la marquise, en quêté de gens d’esprit et de plumes agréables, a-t-elle laissé échapper la bonne fortune qui venait s’offrir ? Quel admirable correspondant était là près d’elle, à portée de sa main ! Nul secret mouvement, nul instinct de sympathie ou de curiosité inquiète ne l’a donc avertie de l’importance d’une conquête qui, habilement circonvenue, n’aurait point résisté ? L’intérêt qu’on porté « au jeune Arouet » dans la famille montre à quel point il y était aimé, et combien facilement la dame de Balleroy, secondée de tous les siens, l’eût enrôlé sous sa bannière. Cet intérêt le suit partout, à travers les agitations de sa naissante fortune. Le 2 avril 1717, le baron de Breteuil écrit à la marquise, sa cousine : « J’ai laissé Arouet à Saint-Ange depuis le commencement du carême. » le 26 mai suivant, Caumartin de Boissy transmet une fâcheuse nouvelle : « Arouet a été mis à la Bastille et sera, dit-on, mené à Pierre-Encise, » — Le bruit que fait Œdipe trouve de