Mémoires retrouveront son stylo : « Vous me parlez des détails secrets de la noce comme de la cérémonie d’aller voit sa tante. Pardon de la réponse libre que cela vous attire. Je serais mal conseillé pour éteindre mes désirs d’aller voir une tante faite comme vous ; j’espérerais faire changer le proverbe, et on ne dirait plus qu’aller voir sa femme quand il faudrait quitter sa tante. »
Au milieu de cette chronique de famille, qui tient naturellement une grande place, les nouvelles politiques sont jetées en courant, avec la liberté et le décousu d’une correspondance ; mais après tout ce qu’on a publié sur ce temps-là, il en est bien peu qui aient pour nous aujourd’hui une sérieuse importance et quelque nouveauté. Tout ne pouvait pas s’écrire sous le régime du cabinet noir ; une lettre de 1718 se termine par cet aveu s « je vous mande ce qu’on peut mander ; ce que l’on n’ose écrire ferait une lettre six fois plus grande. » On lisait tout haut à Balleroy les lettres reçues de Paris, comme on lit le journal dans la plupart des familles de province, en société, au coin du feu : aussi, quand le correspondant bien informé touche aux secrets d’état, — ce qui a lieu quelquefois, — il prend un air mystérieux et met un lisez bas en vedette, signal convenu. La correspondance est discrète sur le régent ; cela se comprend dans une famille qu’on peut appeler ministérielle. Nous lisons un ou deux entre-filets timides dans le goût de celui-ci, qui est daté de 1721 : « un grand prince se couche présentement à minuit, et ne boit plus qu’une chopine de vin à ses repas. » Même réserve à l’égard du roi ; il est tout du plus question de sa bonne mine et de la grâce à danser un ballet : « aujourd’hui pour la première fois, 21 décembre 1720, le roi dansa fort noblement et d’une grâce qui fit pleurer tout le monde de joie. » Ce n’est pas la bonne volonté, c’est l’audace qui manque aux nouvellistes pour dauber sur l’archevêque de Cambrai et s’égayer à ses dépens ; on voit percer une envié de médire et des sarcasmes qui se refoulent bien à contre-cœur ; mais il ne faut pas trop regretter ce silence prudent, car, si l’on en peut juger par les demi-mots qui échappent, nous n’avons perdu que les variantes des anecdotes vraies ou fausses et des graveleuses aventures dont Saint-Simon a fait la légende enluminée du cardinal. Suivant l’usage de notre pays, où les frondeurs ne négligent pas leurs intérêts personnels auprès du gouvernement qu’ils critiquent, et mêlent habilement le personnage d’opposant à celui de solliciteur, beaucoup de ces railleurs de qualité remplissaient les antichambres du prélat-ministre. On parla un moment de créer pour sa garde une troisième compagnie de mousquetaires ; le marquis de La Cour, qui avait un second fils à pourvoir et se sentait en crédit, grâce aux d’Argenson, tourna ses vues de ce côté et songea fort à demander le commandement de cette compagnie. Une fausse honte