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pieds de mouche, » n’arrivait point. « Vos plaintes me flattent, répondait celui-ci, et, quoique la qualité de gazetier impertinent n’ait rien de bien éminent, tout ce qui peut me rendre nécessaire auprès de vous m’est très précieux. » Les lettres les plus rapides, les plus insignifiantes de Caumartin ont toujours quelque trait vif et plaisant, un tour original, un grain de sel au début ou à la fin. « Je crois, ma chère sœur, que ce sera gratum opus agricole que vous mander des nouvelles de ce pays-ci… Adieu, j’honore, je salue, j’embrasse toute la famille, chacun suivant sa dignité, sa bonne mine, sa beauté et son âge. » Malgré sa parfaite distinction et ses habitudes d’excellente compagnie, le « gazetier impertinent » ne répugnait pas aux anecdotes un peu fortes, il les conte lestement, avec une pointe de gaillardise ; nous n’en citerons rien, parce qu’elles sont trop longues et en partie connues, nous donnerons seulement, comme exemple du genre, ce portrait de l’abbé de Grécourt, dont les poésies et la personne également cyniques, colportées dans les meilleures maisons de Paris, faisaient fureur sous la régence : « Ce n’est pas un petit homme cacochyme uniquement occupé de vers et de littérature ; c’est un grand diable de prêtre plus haut que moi, bien pourvu de gueule, bien fendu de jambes, beau décrotteur de matines, beau dépendeur d’andouilles. Ce grand personnage ne donne point son poème à lire, il le récite lui-même à table, lorsqu’on a renvoyé les valets, une bouteille en face de lui qui se renouvelle au moins une fois. Il n’a pas d’autre façon de réciter, et, si le vin n’était pas bon, au premier coup il finirait son récit. » A merveille, et voilà qui prouve que le régent n’était pas seul en France à lire Rabelais avec profit ; mais, quand on écrit à une « dévote, » quelle apparence de lui faire accepter l’éloge d’un poème tel que le Philotanus : « c’est un morceau aussi plaisant et aussi amusant que chose que j’aie jamais lue ! »

Dans les rares entrevues du frère et de la sœur, le jeu les avait parfois brouillés, la marquise n’aimant pas à perdre ; Caumartin, par sa bonne humeur, dissipait aisément ces nuages : « maudites soient les cartes qui eut excité des orages entre nous ! Faisons vœu de n’en plus manier ensemble ; l’union vaut mieux qu’un si léger amusement. » Peu de temps avant la mort de ce frère dévoué, il se glissa entre sa sœur et lui un froid plus durable à propos d’une question très délicate où les intérêts comme les affections de la famille étaient engagés : il s’agissait d’un mariage. Fatigué et se sentant vieillir, Caumartin de Boissy songeait à lui ménager un repos qui fût selon son cœur : tandis qu’à Balleroy on ne rêvait que de Paris, il ne rêvait, lui, comme il arrive souvent aux Parisiens, que de la douceur de vivre à la campagne ; il mêlait aux traces de ses opérations financières les idées riantes d’une idylle paternelle où