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volontaire et tout officieuse d’informations, qui pendant plus de dix ans lui tint lieu de grande et de petite presse.

Elle avait sous sa main une suprême ressource pour les mauvais jours, pour les époques de défection générale et de silence prolongé : nous voulons parler du marquis, dont les fréquentes missions à Paris nous sont révélées par la place considérable, qu’il occupe dans ce recueil. Quand les nouvelles ne venaient pas, le marquis allait aux nouvelles ; il était l’expédient des graves embarras, le courrier extraordinaire des situations désespérées. Ancien conseiller au parlement, ancien maître des requêtes, il conservait à Paris des amitiés, un pied-à-terre, et, malgré sa fortune, il y nourrissait des procès et des dettes. De là, mille raisons de voyager, mille prétextes d’absence que la marquise favorisait, bien loin de les combattre : non pas sans doute que le marquis fût de ces hommes dont Mme Du Deffand disait « qu’ils ont l’absence délicieuse, » mais à le voir s’établir à Paris pendant des mois entiers, y faire des saisons, allonger les délais et tramer les choses, il est clair que ce sont là des lenteurs autorisées, et que la marquise, dédommagée par la régularité de sa gazette, aime encore mieux en lui le correspondant que le mari. Froid, « mystérieux comme Dieu l’a fait » (disait Caumartin), plein de petites finesses et malices sournoises sous une enveloppe flegmatique, ce personnage assez peu élégant n’a cependant rien qui choque et déplaise : il nous repose du commerce des gens d’esprit et nous intéresse par le contraste. Les charges qu’il avait achetées et aussitôt revendues au temps de sa jeunesse ne lui ont pas enlevé les manières, le langage, les opinions de la province ; gêné auprès de ses beaux-frères, se défiant de leurs grands airs, de leurs démonstrations flatteuses, il porte dans les salons de Paris, avec le sentiment de son infériorité, le sans-façon de ses habitudes campagnardes : le marquis fait « un nœud à son mouchoir » pour rappeler ses souvenirs, il a une « eau, » élixir souverain, dont il prend chaque matin, qui le rajeunit, dit-il, qui l’empêche d’étouffer, et qu’il va offrant et vantant à tous ses amis. On se fera une idée de son style par cette ligne, prise au hasard : « je vis hier entre les mains de la princesse de Rohan une médaille du saint-père (Innocent XIII), qui est un des vilains mâtins que j’aie connus avec son grouïn de cochon. » Voilà l’homme, — au demeurant bon mari, et qui paraît avoir aimé sincèrement sa femme. Du moins lui écrit-il les lettres les plus tendres : « Je vous aime trop pour vous faire la moindre peine ; je suis sans reproche devant Dieu et devant les hommes… Je vous assure que je vous regarde comme toute ma consolation, et je crois que la petite indisposition que j’ai eue vient autant d’ennui d’être sans vous que