Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conditions d’aptitude sans doute, mais qu’elle remplit facilement, parce qu’elle est intelligente et appliquée, et parce qu’elle dispose de la faveur. Les lois de l’honneur et de la discipline l’astreignent à une instruction et une assiduité de travail dont elle comprend la nécessité. Cette noblesse, grande ou petite, n’est pas opulente ; elle est orgueilleuse, intrépide et passionnée, pour tout dire, un grand instrument d’administration civile et de force militaire. La profession des armes lui est chère : c’est pour elle une condition sociale à laquelle elle attache un grand prix.

On comprend qu’avec de pareils élémens de population les ancêtres du roi Guillaume aient facilement organisé dans leurs domaines une puissance essentiellement militaire ; on comprend que le baron de Stein et le général Scharnhorst aient aisément rendu populaire le service obligatoire dans l’armée sous le roi Frédéric-Guillaume III ; on comprend enfin la prépondérance dont jouit et dont abuse aujourd’hui le parti militaire en Prusse. Ce parti impose au roi lui-même, à son gouvernement, à la nation. La ville de Berlin n’offre qu’une image affaiblie de cette direction d’idées de la noblesse provinciale, direction plus prononcée dans la petite que dans la haute noblesse. Celle-ci se pique de culture française depuis le temps de Frédéric II ; les grandes dames de Berlin aiment notre littérature, Paris et ses modes, et l’esprit les préserve de la passion qui domine chez les hobereaux. L’attitude de cette partie de la société berlinoise envers les prisonniers français a été noble et généreuse. Les hobereaux s’en sont même offensés. La population de Berlin est d’ailleurs très mêlée et d’origine fort diverse : un quartier tout entier est d’extraction française, et l’on y parle le français réfugié ; mais ce qu’on nomme chez nous le monde, le salon, est à peu près inconnu à Berlin. Les réunions sont peu nombreuses ; chacun vit chez soi, studieux et retiré, ce qui n’empêche pas une certaine corruption. On obéit à un mot d’ordre plutôt qu’à une opinion discutée ; l’activité du travail est muette, la bourse silencieuse. Quoique les arts et les sciences y soient très cultivés, la décoration de la ville est toute militaire, si l’on excepte les musées : elle retrace partout les sanglans épisodes de la lutte acharnée de 1813, 1814 et 1815. L’existence de la famille royale y est néanmoins patriarcale et simple. Les princes n’y sont entourés que du respect public pour toute garde. Ce que promet une pareille capitale au nouveau saint-empire, nous l’examinerons dans une prochaine étude.


CH. GIRAUD, de l’Institut.