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collectif de garanties et de participation à des avantages réciproques. L’antiquité classique avait donné le spectacle d’une association de simples cités. L’Europe est devenue le théâtre d’une association d’états civilisés et de peuples libres qui, sans jamais avoir stipulé un contrat positif de société générale, sont entrés cependant et de fait dans la voie pratique d’une communication permanente des bienfaits de la justice, du travail et de l’esprit. Cette convention tacite est la base du droit des gens moderne, dont les sûretés et les progrès étaient jadis l’objet de l’attention régulière et constante des cabinets, occupés depuis plus de trois siècles à faire prévaloir les arrangemens et les résolutions les plus propres à favoriser ce mouvement salutaire de l’union des peuples. De grandes et fortes générations y avaient donné leurs soins. Plus d’une fois l’œuvre a été traversée par de graves périls, et les dangers ont été conjurés. Sans croire à la chimère de la paix perpétuelle, on pouvait espérer d’obtenir enfin un juste équilibre des droits établis et des prétentions légitimes de chacun. L’œuvre est aujourd’hui et à nouveau profondément troublée.

Nous avons devant nous une puissance colossale qui dispose de plus d’un million de soldats, et qui, indépendamment de l’irrégularité de sa formation, qui est un danger permanent pour la paix européenne, est exposée elle-même à des emportemens irrésistibles, par exemple à l’entraînement croissant des passions germaniques. Déjà les chants poétiques[1] excitent les imaginations, les discours académiques échauffent les esprits[2]. Une diète allemande prescrivait à l’un des empereurs du XVIIe siècle de revendiquer les anciens fiefs de l’empire en Italie, où le duc de Savoie était alors vicaire impérial. En 1848, la diète de Francfort décréta la réunion de tous les pays où se trouvaient des frères allemands. On s’y souvenait que les comtes de Hollande avaient jadis été feudataires du saint-empire tout comme les rois d’Arles, et l’on déclarait le Mincio frontière germanique. L’Alsace n’était pas oubliée ; il y avait déjà le parti de la grande Allemagne. L’archiduc Jean fut peu complaisant pour ces folies, auxquelles d’autres sourient aujourd’hui. Une partie des vœux de 1848 est accomplie. La guerre de 1870 est finie, mais l’on n’est pas au bout de la lutte de l’Autriche avec les Zollern. L’hésitation du roi Frédéric-Guillaume IV en 1848 avait fait avorter l’unitarisme, comme aussi la répulsion de la maison de Zollern pour le régime des constitutions. Les Zollern sont aujourd’hui les consécrateurs de l’unité ; mais quelles sont les capitulations que les

  1. Voyez Das Lied vom neuen deutschen Reich. Berlin 1871, in-12.
  2. Voyez le discours de rentrée de M. Bluntschli, à Heidelberg, et les Deutsche Reden de M. Gicsebrecht. Leipzig, in-8o.