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effondrement qui nous a frappés de stupéfaction en 1870, notre esprit n’a pas exactement mesuré peut-être les conséquences du nouvel ordre de choses qui s’ouvre pour la France et l’Europe. Il faut remonter à plusieurs siècles pour trouver dans notre histoire une condition analogue à celle qui nous est faite ; il faut remonter aussi bien loin pour trouver une situation aussi inquiétante pour l’indépendance de l’Europe. Les événemens accomplis en cette fatale année sont donc les plus graves qu’ait pu voir une génération ; ils portent les germes de perturbations indéfinies, ils ont altéré pour longtemps les sources de la prospérité nationale, et les élémens de la stabilité générale. Sans vouloir examiner ni résoudre des problèmes dont une indéfinissable légèreté pourrait seule nous dissimuler les tristesses, je me bornerai à rechercher les résultats probables de l’élévation prodigieuse de la maison de Zollern. Et d’abord quelle est cette nouvelle dynastie pour laquelle se relève le saint-empire du moyen âge ? Quel avenir ménage à l’Occident la résurrection de l’empire germanique ? Est-ce un horizon lumineux qui promet d’heureux jours aux destinées humaines ? Est-ce un mouvement rétrograde qui nous ramène à des périls dont on croyait la civilisation désormais affranchie ? Le flot germanique va-t-il reprendre son élan, suspendu, arrêté, par l’Europe latine, depuis tant d’années ?


La puissante maison de Zollern est la plus avisée, la plus appliquée à sa fortune, la plus habile peut-être de toutes les maisons princières qui ont régné en Allemagne. Parvenue tard aux honneurs royaux après les avoir ambitionnés pendant plus d’un siècle, elle ne s’est abandonnée qu’avec réserve aux éblouissemens de prospérité qui ont perdu tant de princes. La vie des camps semble être l’objet héréditaire et affectionné de ses habitudes ; elle en a fait l’instrument traditionnel et régulier de sa puissance. Bien autrement redoutable pour l’Europe que ne fut jadis, au XVIe et au XVIIe siècle, la maison de Habsbourg, dont elle s’est portée la rivale, et qu’elle a voulu supplanter en Allemagne, ce n’est point, comme celle-ci, par le sort des anciennes élections impériales, par le bonheur des grands mariages ou des successions opulentes, et par l’accumulation des richesses du Nouveau-Monde, qu’elle s’est graduellement élevée à la suprématie européenne. C’est l’épée à la main, par la violence et la conquête, que la maison de Brandebourg, sortie de la vieille souche des Zollern, est parvenue à la domination de l’Allemagne, et menace la liberté de l’Europe en s’appuyant sur la terreur d’une organisation militaire dont elle a fait la condition régulière de son existence politique, en proclamant au