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presque miraculeuse, eu égard à la lenteur des voyages à cette époque. » Coloniser vite, lorsqu’il s’agit de contrées comme la Nouvelle-Zélande ou le Canada, ce n’est pas seulement fonder des villes et défricher des terres, c’est aussi prendre sous le soleil la place des tribus indigènes par la force brutale. Qu’en diraient les sauvages, s’ils savaient se plaindre et se faire entendre ?

Passons aux possessions anglaises de l’Afrique méridionale : la province du Cap et celle de Natal. Ce qui les distingue de l’Australie est l’existence au milieu des Européens de nombreuses tribus natives de diverses races. Sur 700,000 habitans, il n’y en a qu’un tiers de race blanche ; encore sont-ils en partie des descendans des anciens cultivateurs hollandais qui se sont alliés à des indigènes. Le reste se compose de Hottentots et de Cafres assez peu soumis. La culture de la vigne et des céréales et l’élevage des troupeaux font la richesse de ces contrées situées sous un climat agréable dont le tempérament européen s’accommode à merveille. La découverte de terrains aurifères et de mines de diamans en a fait un centre d’attraction pour tous les aventuriers que tentent les gains aléatoires. Le régime politique des deux états n’est pas encore le gouvernement représentatif : Natal n’a qu’une assemblée dont quatre membres sur seize sont nommés par le gouverneur ; le Cap a un conseil et une chambre basse, tous deux nommés par des électeurs censitaires ; dans l’une comme dans l’autre, les ministres ne sont pas responsables devant les chambres et ne peuvent même en faire partie. Cette organisation transitoire, qu’explique la rivalité entre Européens et natifs, ne durera certainement qu’autant que les colons voudront bien s’y soumettre, car le parlement britannique ne leur a pas refusé le droit d’améliorer leur constitution. Sur la limite des établissemens anglais subsistent encore deux républiques précaires créées par les Boërs, d’origine hollandaise. Ceux-ci, que l’alliance avec des femmes indigènes avait ramenés à un état voisin de la barbarie, n’ont pas voulu se soumettre à la loi anglaise, qui abolissait l’esclavage. En 1835, ils émigrèrent avec leurs troupeaux au-delà du fleuve Orange, et un peu plus tard au-delà du Vaal, où ils eurent la prétention de rester indépendans. Le territoire situé sur les bords de l’Orange et du Vaal que ces réfractaires s’attribuaient n’était pas tout à fait désert. Il y existait une puissante tribu, les Bassoutos, et en outre celle des Griquas, métis de blanc et de noir que le voisinage des Européens n’effarouchait pas. Toutefois les Boërs ne vécurent pas en paix. La vie pastorale qu’ils menaient exigeant de vastes superficies, ils empiétaient sans cesse sur les cantons occupés par les indigènes. Une guerre s’ensuivit ; le gouvernement du Cap prit parti pour les Griquas contre les Hollandais, et, soit par ambition, soit par désir d’imposer la paix, il finit par