Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I

Suivant sir Ch. Adderley, l’histoire de la politique coloniale de la Grande-Bretagne se décompose en trois périodes bien distinctes. Dans la première, les colonies se gouvernaient elles-mêmes ; le gouvernement de la métropole ne s’en occupait que pour régler les relations de commerce avec les autres nations, car c’était l’époque où le trafic d’outre-mer était monopolisé au profit de la mère-patrie. Les premiers Anglais qui émigrèrent en Amérique emportèrent avec eux l’amour des libertés et le souci de remplir les devoirs sociaux dont ils avaient l’habitude sur la terre natale. Il en advint que les états de la Nouvelle-Angleterre étaient en réalité, bien avant l’émancipation, des démocraties parfaitement autonomes, mais des démocraties, car le caractère aristocratique de la société dont ils étaient sortis n’avait pas subsisté en Amérique, faute d’élémens. C’étaient des républiques gérant avec succès leurs propres affaires, pourvoyant à leurs dépenses avec les ressources qu’elles se créaient et se défendant elles-mêmes contre les ennemis dont elles étaient entourées. Elles se révoltèrent et se proclamèrent indépendantes dès que l’Angleterre voulut leur imposer des taxes pour couvrir des dépenses d’un intérêt commun. L’empire exotique de la Grande-Bretagne fut alors presque entièrement anéanti ; ce fut une éclipse de courte durée, car il se reconstituait à nos dépens pendant les guerres contre Napoléon. De cette époque date aussi la seconde période du régime colonial. Les Anglais, se croyant instruits par l’expérience, imaginèrent de ne plus accorder à leurs possessions lointaines une constitution politique indépendante, et, par une compensation naturelle, de prendre à la charge du budget métropolitain, en même temps qu’ils s’attribuaient la gestion des affaires, les frais de défense et d’administration. Ce régime avait un double inconvénient, d’enrayer l’activité des colons et de surcharger outre mesure le peuple anglais. A vrai dire, la Grande-Bretagne se constituait par là tributaire de ses dépendances. Il serait difficile de décider qui souffrait le plus d’un tel état de choses, de la métropole ou des colonies ; cela ne fut pas de longue durée : les provinces où l’esprit de la race anglaise dominait acquirent de jour en jour plus d’indépendance administrative. Enfin, depuis une vingtaine d’années, on a proclamé une troisième doctrine qui s’affirme à la fois en fait et en principe : c’est que les colonies doivent vivre en liberté et se suffire à elles-mêmes, sans être rattachées à la mère-patrie par d’autres liens que le souvenir d’une origine commune et le respect pour un souverain commun.