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vaches dont dégoutte le lait, les eaux se sont précipitées vers la mer.

« Mariées au démon, gardées par Ahi, les eaux étaient enfermées comme les vaches volées par Pani ; mais Indra, en tuant Vritra, a ouvert la caverne qui leur servait de prison.

« Avec ces Maruts qui brisent tout rempart et supportent la nue, tu vas, ô Indra, délivrer du sein de la caverne les vaches célestes. Voilà pourquoi l’hymne qui chante les dieux célèbre aussi le grand dieu des vents qui assiste Indra de ses conseils, et découvre les heureux trésors.

« Au fort, au rapide, au majestueux Indra, j’apporte mes chants comme une nourriture ; au dieu illustre, irrésistible j’apporte ma piété et des prières souvent offertes. »


Ouvrons maintenant les Eddas et les recueils de vieilles poésies ou de légendes populaires qui aident à les commenter ; nous rencontrerons à chaque pas des analogies entre les imaginations orientales et la mythologie germanique. Quand ces sortes d’analogies sont confirmées, de l’avis des philologues, par d’exactes transformations grammaticales, il faut bien y voir les incontestables témoignages d’une solidarité intellectuelle et morale. A Thor et Odin se rapportent un grand nombre de traits rappelant la lutte entre Indra et Vritra, c’est-à-dire entre le soleil et le nuage. Thor, dans lequel nous avons reconnu l’Hercule de Tacite, est, suivant les traditions des Germains, un dieu qui préside aux phénomènes du ciel et de l’atmosphère, aussi bien qu’Indra. Adam de Brême dit encore au XIe siècle que ce dieu du nord gouverne les vents et qu’il envoie l’orage. Il est armé, lui aussi, de la foudre, c’est-à-dire de l’arme nommée Miöllnir, dont les coups inévitables s’annoncent par le tonnerre, et qui revient d’elle-même à la main qui l’a lancée. Cette arme de Thor est le plus souvent désignée dans les anciens textes norrènes comme une hache à deux tranchans ou comme un marteau à deux têtes, affectant volontiers la forme de la croix, si bien qu’un roi chrétien de Norvège, faisant à la vue de son peuple le signe de la croix sur la corne à boire, put donner à penser qu’il avait tracé le signe païen du marteau de Thor. Quand les nuages laissaient tomber la pluie sur la terre ou que le sol était inondé d’une rosée bienfaisante, on croyait voir Thor, comme Indra, traire ses vaches avec sa foudre. Ce qui le prouverait, c’est que le mot désignant dans les langues germaniques la rosée est voisin, du moins suivant M. Ad. Kuhn, du mot sanscrit qui signifie le lait. Une foule de dictons ou d’usages encore aujourd’hui populaires supposent d’ailleurs que l’eau tombée des cieux est considérée comme un lait bienfaisant. Il faut, par exemple, à certains jours de fête, ou bien au mois de mai, ou pendant la nuit de la Saint-Jean, recevoir sur soi la rosée ou s’en laver le visage pour obtenir la beauté. Dans beaucoup