On pourrait dire de la première page du livre de Tacite qu’elle est épique, si elle n’offrait, en même temps que l’étendue et l’élévation du regard, un caractère de précision presque scientifique. En quelques lignes, il décrit d’abord la vaste contrée occupée par les Germains, après quoi il s’explique immédiatement sur ce qu’il pense de leur première origine, et dit leurs éponymes religieux, leurs plus antiques héros, leurs dieux, leurs légendes nationales. Quelle autre méthode suivrait de nos jours l’historien le plus familier avec les procédés de la critique moderne ? Il invoquerait ce que nous appelons la science ethnographique, la philologie et la mythologie comparées. D’instinct et sans longue recherche, Tacite a deviné et pratiqué nos méthodes. Il a vu du premier coup d’œil que, dans l’histoire primitive des grands peuples, les deux questions de la descendance ethnique et des origines religieuses sont connexes. La religion des Germains l’a visiblement préoccupé. Rome n’avait encore rencontré devant elle que des religions vieillies dont elle avait eu le tort d’adopter docilement les superstitions corruptrices ; elle se trouvait cette fois en présence d’un dogme ardent et jeune qui poussait des peuples nombreux à la conquête. Tacite
- ↑ Voyez la Revue du 15 décembre 1871.