Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/980

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rente bonhomie, sans doute un peu politique, avec laquelle le feu roi se prêtait à de familières surprises, non pas selon la manière théâtrale et guindée de la cour de Gustave III, mais avec une allure qui, pour être plus moderne, ne devait que se faire mieux accueillir de la tradition populaire.

Charles XV s’entretenait, à un bal chez son frère le duc d’Ostrogothie (aujourd’hui Oscar II), avec un horloger de la ville, officier dans les tirailleurs volontaires, comme qui dirait chez nous dans la garde nationale. Celui-ci faisait l’habile en stratégie sans y rien connaître. « Allons, lui dit le roi, tu es plus fort en tictac qu’en tactique ! » C’est là un mot à la façon de notre dix-huitième siècle : on croirait l’avoir lu, adressé par exemple au comte de Guibert, à propos de sa fameuse Tactique. — Un jour, une famille finlandaise en voyage à Stockholm et aux environs parcourait le parc d’Ulricsdal. Elle rencontre le roi sans le connaître, l’arrête, et lui demande son chemin, puis se plaint à lui de ce qu’elle ne peut visiter le château parce que la famille royale l’habite. « N’est-ce que cela ? répond l’inconnu, suivez-moi, » et lui-même introduit et dirige ses hôtes. Comme ils souhaitent après cela de voir les personnes royales, il les aposte en un lieu, les quitte, et n’a pas de peine bientôt à les satisfaire. On reconnaît ici le thème traditionnel, on se souvient du Henri IV légendaire avec son villageois en croupe. — Charles XV avait au moins un certain trait de ressemblance avec notre Béarnais ; quand le roi de Danemark Frédéric VII, pendant l’été de 1863, dut venir en Suède pour le camp de Scanie, où les deux monarques amis allaient se rencontrer, il expédia cette dépêche à son bon frère et cousin : « Amènerai-je ma femme (Mme  la comtesse Danner) ? » Charles XV lui répondit immédiatement : « Amènes-en tant que tu voudras ! »

On sait que Charles XV était peintre et poète, et écrivain militaire. Il n’importe pas outre mesure de marquer précisément à quel degré de talent comme artiste et comme littérateur il avait su s’élever ; ces traits de sa biographie n’en sont pas moins à noter. Nous avions naguère, à la bibliothèque du Louvre, une assez curieuse collection, formée par les soins de M. Barbier, de tous les livres composés par les rois ou les princes. La famille Bernadotte, en y comprenant le regretté prince Gustave, musicien vraiment distingué (mort le 24 septembre 1852), y occupait une large place. Or il faut considérer, dans l’histoire de la dynastie suédoise, que pas une de ces publications ne manquait son but ; chacune était en quelque mesure un acte politique contribuant à identifier la famille nouvelle avec le pays. Chez un peuple sérieux et de bon vouloir tel que les Suédois, où la royauté constitutionnelle est adoptée comme une défense et une garantie nationale, il reste, à côté d’esprits libres en