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LA


SUÈDE SOUS CHARLES XV

Napoléon Ier racontait qu’il lui était arrivé de se voir une fois en songe naviguant côte à côte avec Bernadotte, chacun d’eux dans sa barque, sur une mer agitée ; les deux embarcations luttaient de concert et triomphaient des flots. Tout à coup Napoléon aperçut son compagnon de voyage virer de bord, s’éloigner et se perdre dans le brouillard avec toute la vision. — Nous, qui sommes la postérité, nous savons la suite, et nous pourrions dire ce que fut la réalité après le rêve. L’esquif de l’empereur, sur lequel la France avait embarqué sa fortune, nous savons quelles tourmentes, quels naufrages, quels nouveaux pilotes il dut subir ; quant à Bernadotte, il rencontra au loin, dans le nord, un fiord, un port imprévu où il s’abrita paisiblement et se prépara, au prix de quelques peines, au prix de certains sacrifices, un modeste et sûr asile. L’ancien sergent de Royal-Marine, passé roi, a fait souche en Suède et Norvége ; voici que vient de commencer le quatrième règne de cette jeune dynastie, improvisée et maintenue dans un temps si peu favorable aux dynasties, et l’on peut voir aujourd’hui à Stockholm le buste de l’aïeul-fondateur en costume héroïque ; il est devenu, non pas un césar, honneur dangereux et malsain, mais, quoi qu’il en eût, un simple roi constitutionnel sur un des plus solides entre les trônes de l’Europe. La cause de ce succès est double : elle est dans l’intelligente bonne volonté que Bernadotte, mais surtout ses fils et petit-fils, Oscar Ier et Charles XV, ont apportée à la tâche qui leur était offerte ; elle est aussi et surtout dans le bon sens de deux peuples sérieux et honnêtes, qui ont su se faire une royauté entourée d’institutions libres, dont le progrès lent, mais continu, protége le développement de leur prospérité matérielle et de leur vie nationale. Chacun des trois règnes qui ont inauguré la nouvelle dynas-