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I

On ne connaissait guère au commencement du XVIIIe siècle, en fait de reproduction d’organes chez les animaux, que l’exemple de la queue du lézard, qui repousse lorsqu’elle a été coupée. Du moins les savans n’en connaissaient pas d’autres, ou plutôt ils niaient, ils mettaient au nombre des fables les assertions des pêcheurs concernant la régénération des membres des écrevisses, des homards, etc. Réaumur résolut en 1712 de contrôler ces fables, et entreprit des expériences. « Ayant eu occasion, dit-il, d’examiner des côtes de la nier, qui sont remplies d’une infinité de crabes, animaux qui tiennent quelque chose du genre des écrevisses, je ne pus n’empêcher de soupçonner que les savans avaient tort ici, et que le peuple avait raison. » Réaumur prit des homards, des crabes, leur enleva un ou plusieurs membres, et renferma les animaux ainsi mutilés dans des réservoirs en communication avec l’eau de la mer. — Au bout de quelques mois, il vit, non sans surprise, que de nouvelles jambes occupaient la place de celles qui avaient été enlevées. Il répéta ses observations sur des écrevisses, et décrivit, avec l’exactitude qui l’a rendu célèbre, le mécanisme de ces régénérations.

Trente ans plus tard, Abraham Trembley, se promenant à La Haye autour d’un lac, y aperçut de petits filamens verts munis d’appendices et semblables à des végétaux. Pour savoir s’il avait affaire en effet à des plantes, il en coupa un en plusieurs morceaux. Les parties séparées reproduisirent bientôt chacune un individu complet, et ces individus se mouvaient, changeaient de place, saisissaient avec leurs bras des insectes pour les introduire dans leur cavité digestive. C’étaient des polypes d’eau douce, de véritables animaux. Trembley reconnut qu’en coupant un de ces polypes en deux, la tête reproduit la queue, et la queue reproduit la tête. Il en coupa deux longitudinalement et les greffa ; au lieu d’un polype à huit bras, il en eut un à seize. Charles Bonnet répéta, peu de temps après, les expériences de Trembley sur la reproduction du polype, et en fit de nouvelles sur un ver d’eau douce qu’on appelle naïade. Il observa que ce ver régénère, comme le polype, celles de ses parties qui ont été enlevées. Il fit des essais semblables sur le ver de terre, et à son grand étonnement il trouva que cet animal si compliqué, qui a tant d’anneaux, et à chaque anneau des organes délicats de locomotion, qui a des appareils de digestion, de génération, etc., possédait aussi la faculté de reproduction. Si on lui enlève des tronçons considérables du corps, soit du côté de la tête, soit du côté de la queue, ces fragmens se régénèrent en peu de