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Quand on veut connaître toutes les conditions qui influent sur la végétation, les températures du sol ne doivent pas être négligées, car la plante est échauffée par le sol où elle plonge ses racines, comme par l’air qui entoure les parties découvertes. Mes compagnons avaient enfoncé des thermomètres dans la terre à 2, à 10 et à 20 centimètres ; dans cette zone, la température moyenne du sol a été de 10°,8, plus élevée par conséquent de 4°,3 que celle de l’air. Le 25 août, cette température est montée à 20°,4, c’est-à-dire à 6°,2 au-dessus de celle de l’air ; c’est donc le sol bien plus que l’air qui favorise la végétation des plantes alpines et leur permet d’en accomplir les phases dans un temps relativement très limité. Les températures du sol près de la surface ne sont pas les seules qu’il soit intéressant de connaître ; il ne l’est pas moins de savoir à quelle profondeur la chaleur solaire pénètre dans l’épaisseur des différentes roches qui composent l’écorce du globe. Un mineur appelé au sommet du Canigou fora dans le micaschiste un trou de 1 mètre de profondeur. Un thermomètre enchâssé dans une monture en bois fut laissé à demeure au fond de ce trou ; il marquait 7°,6. Au campement, à l’altitude de 2 359 mètres, un autre thermomètre fut enfoncé dans le même sol à 0m,80, la dureté de la roche n’ayant pas permis de foncer davantage ; le thermomètre se tint à 8°,9 en oscillant de quelques dixièmes seulement autour de cette moyenne. Au Vernet, à 630 mètres au-dessus de la mer et à 1 mètre au-dessous de la surface, la chaleur était de 14°,6[1]. On voit par ces chiffres que la chaleur solaire pénètre dans la terre, et que l’influence du jour et de la nuit est encore sensible à la profondeur indiquée.

Le bas de la cheminée par laquelle on arrive au sommet du Canigou se trouve à 80 mètres au-dessous de ce sommet : c’est à partir de ce point que je me suis appliqué à recueillir toutes les plantes phanérogames qui croissent sur le cône terminal compris entre 2 700 et 2 785 mètres. Je ne pouvais espérer de n’en manquer aucune : il eût fallu pour cela visiter le sommet de juin jusqu’en septembre, à l’exemple de Ramond, qui fit dix-sept ascensions sur le pic du Midi pour y cueillir toutes les fleurs qui le parent en été. En effet, lorsqu’elles sont défleuries, les plantes alpines échappent à la vue par leur petitesse et leur ressemblance avec celles qui les entourent. Tous ces végétaux sont des espèces naines abritées sous les pierres, cachées dans les fissures, blotties contre les rochers. Leur végétation chaque année n’est que de quatre mois tout au plus ; aussi des sous-arbrisseaux, tels que le myrtille, le rhododendron, le genévrier, longs de 2 décimètres, sont-ils aussi vieux que les grands arbres de la plaine. Comment s’en étonner ? Pendant huit

  1. A l’observatoire de Paris, pendant la même période, le thermomètre enfoncé de 1 mètre dans le sol variait de 20°,2 à 19°,4.