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jamais pu faire une telle entreprise. Il m’a frayé le chemin en ramassant et faisant dessiner tout ce qu’il a pu trouver de monumens dans Paris, autour de Paris et dans les provinces… Je lui ai souvent donné des recommandations pour nos abbayes où il allait faire ses recherches… Je ne savais pas alors qu’en lui faisant plaisir j’agissais pour moi. » Un témoignage venu de si haut ferait au besoin justice des menues attaques essayées de notre temps. Il protège la mémoire et l’œuvre de Gaignières plus sûrement que les dédains affectés du moderne puritanisme archéologique n’arriveraient à les compromettre, et le mieux pour chacun de nous est de s’en tenir sur ce point au sentiment de naïve gratitude que, depuis le temps où travaillait Montfaucon jusqu’au nôtre, plusieurs générations d’érudits ou d’artistes ont successivement éprouvé.

Gaignières mourut le 27 mars 1715, c’est-à-dire lorsque quatre années seulement s’étaient écoulées depuis l’époque où il avait fait don de sa collection au roi. Ses derniers jours durent être tristes, s’il eut connaissance des mesures de défiance prises contre lui et de la surveillance injurieuse, de la police cruelle exercée jusque autour de son lit de mort par ceux-là mêmes qu’il avait choisis pour être les ministres de ses libéralités. En tout cas, quiconque a jeté les yeux sur la correspondance échangée alors entre le marquis de Torcy et Clairambault, généalogiste des ordres du roi, chargé, au moment de la donation, de dresser l’inventaire des pièces appartenant à Gaignières, quiconque s’est mis ainsi au courant des faits auxquels cette donation a servi de motif ou de prétexte ne saurait garder qu’un fâcheux souvenir des désirs au moins impatiens et des soupçons dont on ne craignit pas d’environner la personne même du donateur.

On a vu que, par une clause de l’acte passé en 1711, Gaignières s’était réservé la jouissance, sa vie durant, de tous les objets d’art et de tous les recueils dont il instituait le roi propriétaire. En outre il avait été convenu qu’à titre, non de salaire, mais de simple indemnité, il recevrait une pension viagère de 4,000 livres, plus 4,000 autres livres une fois payées, qu’enfin a incontinent après son décès la somme de 20,000 livres » serait répartie entre « ceux en faveur desquels ledit sieur de Gaignières en aurait disposé. » Or de ces diverses stipulations, celles qui avaient trait à un dédommagement pécuniaire furent seules respectées. Quant au reste, on se crut à peu près délié des obligations contractées au nom du roi par son ministre, et le prétendu usufruit assuré d’abord à Gaignières ne tarda pas à n’avoir pour lui d’autre suite qu’une possession troublée ou équivoque, pour ceux qu’il appelait à en profiter sous son toit qu’une succession de tracasseries mesquines